Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2689

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 163-164).

2689. — À M. DE MALESHERBES[1].
À Colmar, 7 février 1754.

Monsieur, je vous prie de pardonner à un malade s’il n’a pas l’honneur de vous écrire de sa main pour vous remercier de vos bontés. J’ai écrit plusieurs fois à ma nièce, qui a dû vous présenter mes très-humbles remerciements, il y a longtemps ; mais j’ai peur que son triste état ne l’ait empêchée de faire auprès de vous tout ce que son cœur et le mien exigeaient.

J’ai reçu, monsieur, une lettre de monsieur l’archevêque de Paris[2], et c’est à vos bons offices que je le dois ; mais cette lettre et celle dont vous m’avez honoré me font voir évidemment que ma nièce n’a pu remplir auprès de vous les soins que son amitié pour moi lui imposait.

Vous m’avez fait l’honneur de me dire par votre lettre que vous ne pouviez rendre témoignage de mon empressement à faire supprimer la malheureuse édition de Jean Néaulme, qui paraît avoir soulevé le clergé de France et déplu beaucoup à Sa Majesté. Il est pourtant très-certain, monsieur, qu’à la première nouvelle de cette indigne édition de Jean Néaulme, j’écrivis deux lettres consécutives à ma nièce, et que je la suppliai d’obtenir de vous la suppression de cet ouvrage informe, dont je sentais toutes les dangereuses conséquences. Elle était alors très-sérieusement malade, et elle ne me manda que longtemps après, qu’il était impossible d’arrêter le débit d’un ouvrage déjà si répandu. Ainsi, monsieur, ce n’est pas votre faute, ni la mienne, si le livre n’a pas été supprimé. Mes lettres existent dans les mains de ma nièce ; elle peut les retrouver, et avoir l’honneur de vous les montrer.

J’ai tâché, en dernier lieu, d’apporter un nouveau remède au mal que mes ennemis m’ont fait en fournissant à un libraire de Hollande un manuscrit informe et altéré. J’ai envoyé à ma nièce un placet au roi, par lequel je le supplie de se faire rendre compte, par monsieur le chancelier[3] de la différence qui est entre mon véritable manuscrit et celui qu’on a imprimé pour me perdre. Je crois le roi trop équitable pour me refuser cette justice, et ceux mêmes qui m’ont accusé auprès de lui doivent me justifier, s’ils ont autant de probité que de christianisme.

Je suis dans un état où je ne puis guère trouver de secours qu’entre les mains de médecins et de chirurgiens habiles, qui ne se trouvent que dans une grande ville ; et ma longue absence ayant dérangé absolument mes affaires, je me vois réduit à mourir dans un pays étranger, sans bien et sans secours. S’il se peut, qu’au moins la vérité soit reconnue : c’est tout ce que je demande, c’est ce que j’attends, monsieur, de vos bons offices et d’un cœur aussi généreux que le vôtre.

Je suis avec respect et reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, de Cayrol el François.
  2. Christophe de Beaumont.
  3. Guillaume de Lamoignon, père de Malesherbes.