Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2726

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 202-203).

2726. — À M. DE MALESHERBE[1].
À Colmar, 29 mars.

Je vous demande pardon de l’indiscrétion qu’on a eue d’adresser des lettres pour moi, du fond de l’Espagne[2], chez feu M. de La Reynière, et je vous remercie de toutes vos bontés. Je serais très-fâché d’en abuser. Je vous ai seulement supplié, monsieur, de vouloir bien, dans l’occasion, rendre témoignage à la vérité, que vous connaissez. Non-seulement je n’ai point envoyé directement le manuscrit de la prétendue Histoire universelle à Jean Néaulme, mais je ne l’ai pas envoyé indirectement. Il avoue lui-même dans sa préface qu’il tient ce manuscrit, si infidèle et si tronqué, d’un homme de Bruxelles, lequel appartient à M. le prince Charles de Lorraine. Je me suis plaint de cet infâme procédé dans toutes les gazettes. J’ai condamné l’édition de Néaulme ; et lorsque ce malheureux libraire m’a écrit en dernier lieu que ce domestique du prince Charles était un très-galant homme, je lui ai répondu que ce galant homme a fait une action indigne de vendre un très-mauvais manuscrit qui ne lui appartenait pas.

Le roi a lu le livre ; il a lu aussi le procès-verbal. Je sais bien qu’on lui a dit, ainsi qu’à Mme de Pompadour, que je n’étais pas si fâché de cette édition que je le paraissais : et voilà pourquoi, monsieur, j’ai pris la liberté de vous supplier de détromper Mme de Pompadour, quand l’occasion se présenterait, et de vouloir bien détruire d’un mot de votre bouche la mauvaise foi et la calomnie, que je ne peux plus supporter.

Quant aux Annales de l’Empire, que j’ai composées par pure complaisance pour Mme la duchesse de Saxe-Gotha, je les avouerai toujours, parce que je les crois très-exactes et très-vraies, surtout à l’aide des cartons nécessaires ; et s’il y a un seul mot contre la vérité, je suis prêt à le corriger. C’est un livre qui n’est guère fait pour la France. Il paraît déjà trois éditions du premier volume dans les pays étrangers. Je compte avoir incessamment l’honneur de vous envoyer le second volume avec les cartons du premier, et je regarderai comme une grande grâce que vous vouliez bien donner à cet ouvrage une place dans votre bibliothèque.

Je vous demande bien pardon de toutes mes importunités, et je suis, avec une respectueuse reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. De Cadix, où il avait placé des fonds.