Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2751

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 228).
2751. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Senones, par Ravon, ou Raon, le 16 juin.

Mon cher ange, je ne sais si Mme Denis a raison ou non. J’attends votre décision. Je suis un moine soumis aux ordres de mon abbé, et je n’attends que votre obédience. Je vous supplie de vouloir bien vous faire donner une ou deux lettres qui doivent m’être adressées à Plombières, vers le 20 du mois ; je me flatte que vous me manderez de les venir chercher moi-même, Savez-vous bien que je ne suis point en France, que Senones est terre d’empire, et que je ne dépends que du pape pour le spirituel ? Je lis ici, ne vous déplaise, les Pères et les Conciles. Vous me remettrez peut-être au régime de la tragédie, quand j’aurai le bonheur de vous voir. Comment vous trouvez-vous du régime des eaux, vous et Mme d’Argental ? Faites-vous une santé vigoureuse pour une cinquantaine d’années, et puissions-nous vivre à la Fontenelle, avec un cœur un peu plus sensible que le sien ! Il serait beau de s’aimer à cent ans. Nous avons à peu près cinquante ans d’amitié sur la tête. Je me meurs d’impatience de vous voir. Je n’ai jamais eu de désirs si vifs dans ma jeunesse. Donnez-moi donc un rendez-vous à Plombières, fût-ce malgré Mme Denis. Je tremble d’être né pour les passions malheureuses. Adieu, mon cher ange ; je volerai sous vos ailes, à vos ordres, et je me remettrai de tout à votre providence.