Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2761

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 235-236).

2761. — À M. DE MALESHERBES[1].
À Plombières, 6 juillet.

Monsieur, ayant eu l’honneur de vous envoyer le troisième tome de l’Essai sur l’Histoire universelle, je crois de mon devoir de vous soumettre aussi la préface que je reçois dans le moment. L’ouvrage est imprimé à la fois che Walther, à Dresde, et chez Schœpflin à Colmar.

Comme Schœpflin est un libraire de France, j’ose, monsieur, vous demander votre protection pour lui ; il corrigera tout ce qui paraîtra demander d’être réformé. J’ai cru ce troisième tome nécessaire pour ma justification ; l’ouvrage entier pourrait être utile. Je tâcherai d’y dire toujours la vérité avec bienséance ; mais la vérité est une chose bien délicate : elle a besoin de vos conseils et de vos bontés. Quoi qu’il arrive, je serai toute ma vie, avec l’estime et la reconnaissance la plus respectueuse, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

P. S. J’apprends de Mme Denis, qui arrive dans le moment, que Schœpflin de Colmar a eu l’honneur, monsieur, de vous écrire, et qu’en vous demandant votre protection pour ce volume il vous a mandé qu’il lui coûtait fort cher.

Voici, monsieur, ce que je lui écris sur-le-champ à ce sujet : « J’apprends que vous avez eu le malheur d’écrire à M. de Malesherbes que vous avez acheté assez cher le manuscrit en question ; or, comme M. de Malesherbes sait que je vous en ai fait présent conjointement avec le sieur Walther, et que même je vous avais prêté vingt mille francs sans intérêts, je crains bien que votre lettre n’ait fait un effet peu favorable pour vous, etc. »

Cependant, monsieur, comme Walther et Schœpflin ont tiré six mille exemplaires, je suis obligé de vous demander grâce pour ce Schœpflin. Permettez du moins qu’une partie de son édition entre à Paris. On a déjà réimprimé en quatre endroits différents les Annales de l’Empire. Je ne vous ai envoyé le troisième tome de l’Histoire que par une juste et respectueuse confiance ; je vous supplie d’y avoir égard. Ne permettez pas que le livre paraisse à Paris sans la préface ; cette préface est ma seule justification. J’en enverrai incessamment la suite. Je n’ai fait ce troisième volume que pour faire voir l’injustice que j’ai essuyée par l’édition défectueuse et subreptice des deux premiers.

Je me recommande d’ailleurs à vos bontés : mon procédé et mon malheur les méritent. Je ne demande que la suspension pendant quelque temps de l’édition de Lambert, d’autant plus que j’ai dédié ce volume à l’électeur palatin, et que ce serait pour moi un nouveau malheur, aussi bien qu’un contre-temps très-ridicule : je vous supplie de me sauver l’un et l’autre ; je vous en aurai, monsieur, la plus sensible obligation.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.