Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2801

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 274).

2801. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Colmar, le 17 octobre.

Mme Denis vous avait déjà demandé vos ordres, monseigneur, avant que je reçusse votre lettre charmante. Je suis dans la confiance que le plaisir donne de la force. J’aurai sûrement celle de venir vous faire ma cour. L’oncle et la nièce se mettront en chemin dès que vous l’ordonnerez, et iront où vous leur donnerez rendez-vous. J’accepte d’ailleurs la proposition que vous voulez bien me faire de vous être encore attaché une quarantaine d’années ; mais je vous donne mes quarante ans, qui, joints avec les vôtres, feront quatre-vingts. Vous en ferez un bien meilleur usage que moi chétif, et vous trouverez le secret d’être encore très-aimable au bout de ces quatre-vingts ans. Franchement, c’est bien peu de chose. On n’a pas plus tôt vu de quoi il s’agit dans ce petit globe qu’il faut le quitter. C’est à ceux qui l’embellissent comme vous, et qui y jouent de beaux rôles, d’y rester longtemps. Enfin, monseigneur, je vous apporterai ma figure malingre et ratatinée avec un cœur toujours neuf, toujours à vous, incapable de s’user comme le reste.

J’ai pensé mourir, il y a quelques jours, mais cela ne m’empêchera de rien. Le corps est un esclave qui doit obéir à l’âme, et, surtout, à une âme qui vous appartient. Mettez donc deux êtres qui vous sont tendrement attachés au fait de votre marche, et nous nous trouverons sur votre route, à l’endroit que vous indiquerez : ville, village, grand chemin, il n’importe ; pourvu que nous puissions avoir l’honneur de vous voir, tout nous est absolument égal, ce qui ne l’est pas, c’est d’être si longtemps sans vous faire sa cour. Donnez vos ordres aux deux personnes qui les recevront avec l’empressement le plus respectueux et le plus tendre.