Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2804

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 276-277).

2804. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Colmar, le 23 octobre.

Il faut, madame, que je vous dise, à propos de notre inscription, une chose que j’aurais déjà dû vous dire : c’est que toute inscription doit être courte et simple, et que les grands vers d’imagination et de sentiment conviennent peu à ces sortes d’ouvrages. La brièveté et la précision en font le principal mérite. Voilà pourquoi on se sert presque toujours de la langue latine, qui dit plus de choses, et en moins de mots, que la nôtre. Je ne vous fais pas, madame, ces petites observations pédantesques pour vous proposer une inscription en latin, mais seulement pour vous demander si vous serez contente d’une grande simplicité en français. Voici à peu près ce que j’oserais vous proposer, en attendant que je sois mieux inspiré :


Il[1] eut un cœur sensible, une âme non commune ;
Il fut par ses bienfaits digne de son bonheur ;
Ce bonheur disparut ; il brava l’infortune.
Pour l’homme de courage il n’est point de malheur.


Je ne vous donne, madame, ce faible essai quie comme une esquisse. Voyez si c’est là ce que vous voulez qu’on dise, et je tâcherai de le dire mieux.

Je vous avoue que je ne m’attendais pas de passer huit heures de suite avec la sœur du roi de Prusse à Colmar. Elle m’a accablé de bontés, et m’a fait un très-beau présent. Elle a voulu absolument voir ma nièce. Enfin elle n’a été occupée qu’à réparer le mal qu’on a fait au nom de son frère. Concluons que les femmes valent mieux que les hommes.

M. de Richelieu fait ce qu’il peut pour que j’aille passer l’hiver en Languedoc, et Mme la margrave de Baireuth voulait m’emmener ; mais je doute fort que ma santé me permette le voyage. Si je pouvais quitter Colmar, ce serait pour l’île Jard ; ce serait pour vous, madame, et pour votre digne amie. Ma nièce se joint à moi pour vous souhaiter de la santé, et pour vous assurer du plus sincère attachement.

  1. C’était sans doute le frère ou quelque proche parent de Mme de Lutzelbourg