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Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3180

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 50-51).

3180. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 4 juin.

Je reviens dans mon ermitage vers Genève, mon ancien ami, sans savoir si mes petits sermons ont été imprimés à Paris comme je les ai faits et comme je vous les ai envoyés ; mais je reçois une lettre de M. d’Argental, qui met presque en colère ma dévotion. Il me fait part d’un scrupule que vous avez eu, quand je vous ai mandé que la condamnation un peu dure des ennemis de Bayle ferait tort à l’édition et à l’éditeur. Vous avez fait comme tous les commentateurs, vous n’avez pas pris le sens de l’auteur. Quel galimatias, ne vous en déplaise, de regarder ce danger de l’éditeur autrement que comme le danger d’imprimer un reproche fait à un corps respectable ! Comment avez-vous pu imaginer que je pusse avoir un autre sentiment ? Vous avez la bonté de faire imprimer un ouvrage qui vous plaît, et je ne veux point qu’il y ait dans cet ouvrage la moindre chose qui puisse vous compromettre. Il faut que vous ayez le diable au corps, le diable des Bentley, des Burmann, des variorum, pour expliquer ce passage comme vous avez fait. J’attends des exemplaires reliés de mon recueil de rêveries pour vous en envoyer. Je ne sais pas quel parti prend Lambert ; je voudrais bien ne pas désobliger Lambert. Je voudrais aussi que les Cramer pussent profiter de mes dons. Il est difficile de contenter tout le monde. Je viens de parcourir une partie du Citoyen de Montmartre ; c’est un âne qui affiche sa patrie. J’apprends, par une voie très-sûre, que Fréron et La Beaumelle[1] ont composé cet infâme et ridicule libelle. On me mande qu’il n’a excité que l’horreur et le mépris.

Cela n’empêche pas que La Beaumelle ne puisse avoir imprimé des Lettres originales de Louis XIV et de Mme de Maintenon, dont on pourra faire quelque usage dans la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV. Un scélérat et un sot peut avoir eu par hasard de bons manuscrits. Je vous prie de me mander s’il y a quelque chose d’utile dans ce recueil. Êtes-vous à présent moine de Saint-Victor ? Que n’êtes-vous venu faire vos vœux dans l’abbaye des Délices avec Mme de Fontaine ! Croyez que mon abbaye en vaut bien une autre : c’est celle de Thélème[2]. On m’en a voulu tirer en dernier lieu pour aller dans des palais[3], mais je n’ai garde. Je vous embrasse tendrement.

P. S. Je vous envoie une nouvelle édition de mes sermons, et vous prie de vouloir bien en distribuer à MM. d’Alembert, Diderot et Rousseau. Ils m’entendront assez : ils verront que je n’ai pu m’exprimer autrement, et ils seront édifiés de quelques notes ; ils ne dénonceront point ces sermons.

  1. Ce pamphlet n’est d’aucun des deux ; voyez page 43.
  2. Voyez Gargantua, livre I, chap. liii.
  3. Voyez page 45.