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Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3223

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 101-102).

3223. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1]2.
Aux Délices, 23 août 1756.

Madame, l’optimisme et le tout est bien reçoivent, en Suède, de terribles échecs. On se bat sur mer, on se menace sur terre. Heureuse encore une fois la terre promise de Gotha, où l’on est tranquille et heureux sous les auspices de Votre Altesse sérénissime ! Elle a donc lu les lettres de cette femme singulière, veuve d’un poëte burlesque et d’un grand roi, qui naquit protestante et qui contribua à la révocation de l’édit de Nantes, qui fut dévote et qui fit l’amour. Je ne sais, madame, si vous aurez trouvé beaucoup de lettres intéressantes.

À l’égard des Mémoires de La Beaumelle, c’est l’ouvrage d’un imposteur insensé qui a quelquefois de l’esprit, mais qui en a toujours mal à propos. Ses calomnies viennent de le faire enfermer à la Bastille pour la seconde fois : c’était un chien enragé qu’on ne pouvait plus laisser dans les rues. C’est une étrange fatalité que ce soit un pareil homme qui ait été cause de ce qu’on appelle mon malheur à la cour de Berlin. Pour moi, madame, je ne connais d’autre malheur que d’être loin de Votre Altesse sérénissime.

On est grand nouvelliste dans le pays que j’habite ; on prétend qu’il y a, dans une partie de l’Allemagne, des orages prêts à crever. Heureusement ils sont loin de vos États. Je n’ose, madame, vous demander si Votre Altesse sérénissime pense qu’il y ait guerre cette année : il ne m’appartient pas de faire des questions ; mais je sais que Votre Altesse sérénissime voit les choses d’un coup d’œil bien juste. Son opinion déciderait, en plus d’une conjoncture, de ce qu’on doit penser. Plus d’un particulier est intéressé aux affaires générales ; qu’elle me pardonne de lui en parler, et qu’elle daigne recevoir, avec sa bonté ordinaire, mon profond respect et mon inviolable attachement.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.