Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3272

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 141).

3272. — À M. THIERIOT.
Le 19 décembre.

On m’a enfin envoyé de Paris une de ces abominables éditions de la Pucelle. Ceux qui m’avaient mandé, mon ancien ami, que La Beaumelle et d’Arnaud avaient fabriqué cette œuvre d’iniquité, se sont trompés, du moins à l’égard de d’Arnaud. Il n’est pas possible qu’un homme qui sait faire des vers ait pu en griffonner de si plats et de si ridicules. Je ne parle point des horreurs dont cette rapsodie est farcie : elles font frémir l’honnêteté comme le bon sens ; je ne sais rien de si scandaleux ni de si punissable. On dit qu’on a découvert que La Beaumelle en était l’auteur, et qu’on l’a transféré de la Bastille pour le mettre à Vincennes dans un cachot ; mais c’est un bruit populaire qui me paraît sans fondement. Tout ce que je sais, c’est qu’un tel éditeur mérite mieux. Voilà assurément une manœuvre bien criminelle. Les hommes sont trop méchants. Heureusement il y a toujours d’honnêtes gens parmi les monstres, et des gens de goût parmi les sots. Quiconque aura de l’honneur et de l’esprit me plaindra qu’on se soit servi de mon nom pour débiter ces détestables misères. Si vous savez quelque chose sur ce sujet aussi triste qu’impertinent, faites-moi l’amitié de m’en instruire.

Mandez-moi surtout si vous avez votre diamant[1]. Je m’intéresse beaucoup plus à vos avantages qu’à ces ordures, dont je vous parle avec autant de dégoût que d’indignation. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

  1. Légué à Thieriot par Mme de La Popelinière.