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Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3284

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 151-152).

3284. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 4 janvier.

Madame, Votre Altesse sérénissime a peut-être reçu, ou du moins recevra bientôt, un Essai sur l’Histoire générale, depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. Je mets à ses pieds le premier exemplaire. Il n’a pas une belle couverture, mais j’aurais attendu trop longtemps à vous rendre mon hommage. Il se passe actuellement, madame, des choses qui nous paraissent bien étonnantes, bien funestes ; mais si on lit les événements des autres siècles, on y voit encore de plus grandes calamités. Tous les temps ont été marqués par des malheurs publics. L’ambition a toujours bouleversé la terre, et deux ou trois personnes ont toujours fait le malheur de deux ou trois cent mille.

La relation dont Votre Altesse sérénissime daigne me parler dans sa dernière lettre n’était point dans son paquet ; mais je présume que c’est la même qui se vend publiquement dans notre Suisse. Toutes les pièces de ce grand procès s’impriment ici ; mais qui jugera ce procès ? La fortune probablement. Cette fortune dépend beaucoup des baïonnettes et de la discipline militaire. On disait que les Prussiens s’emparaient d’Erfurt : ce bruit se trouve faux ; mais ce qui est vrai, c’est que Erfurt devait appartenir à votre auguste maison.

Je ne fais point de réflexions, je fais des vœux, et tous mes vœux sont pour le bonheur d’une princesse dont je regrette la présence tous les jours de ma vie, dont les éloges sont sans cesse dans la bouche de tous ceux qui ont approché d’elle, et dont mon cœur sera toujours le sujet. Ah ! si je pouvais quitter une famille qui a tout quitté pour moi, je sais bien où j’irais porter mon profond respect.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.