Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3357

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 209-210).

3357. — À M. THIERIOT,
ches madame la comtesse de montmorency,
à paris, rue vivienne[1].
Aux Délices, 20 mai 1757.

Vous noterez, s’il vous plaît, mon cher et ancien ami, et je vous confie tout doucement qu’il y a dans le pays que j’habite trois ou quatre personnes qui sont encore du xvie siècle. Elles ont été fâchées de voir dans le Mercure que tout le monde convenait, vers le lac Léman, que Calvin avait une âme atroce[2]. Ces gens-là disent qu’ils n’en conviennent point.

Je crois qu’on pourrait, pour satisfaire leur délicatesse, leur permettre même de penser que l’âme de Calvin était douce. La mienne est tranquille, et je ne veux point choquer d’honnêtes gens avec lesquels je vis en très-bonne intelligence. Vous me feriez plaisir de me mander qu’on a imprimé cette lettre sur une copie infidèle, comme sont toutes celles qu’on fait courir manuscrites ; que, dans celle que vous avez reçue de ma main, il y a âme trop austère et non pas âme atroce[3]. En effet, autant qu’il peut m’en souvenir, c’était là la véritable leçon. Cette petite attention de votre part ferait un très-grand plaisir à des personnes que je dois ménager, et je vous en serais très-obligé. La paix est, après la santé, le plus grand des biens.

Je ne sais quand le roi de Prusse la donnera à l’Allemagne. Ce sera quand il voudra : car s’il achève la campagne comme il l’a commencée, il donnera des lois.

Ce serait une chose bien glorieuse pour la France, si son armée réparait les pertes des Autrichiens. Il serait beau, après avoir résisté deux cents ans à l’Autriche, d’être son seul appui.

Avez-vous lu la pièce nouvelle ? Paraît-il quelque bon livre ? Êtes-vous toujours casanier ? N’aurez-vous jamais le courage d’exécuter votre ancien projet de voir notre lac et vos anciens amis ?

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — Thieriot, ayant perdu Mme de La Popelinière, avait trouvé une nouvelle protectrice.
  2. Voyez la lettre à Thieriot du 26 mars.
  3. Voyez les chapitres cxxxiii et cxxxiv de l’Essai sur les Mœurs.