Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3374

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 226-227).

3374. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 2 juillet.

Qui ! moi, que je me donne avec mon héros le ridicule de parler de ce qui n’est pas de mon métier ? Non assurément, je n’en ferai rien. Si vous avez envie d’avoir le modèle en question, envoyez vos ordres. Faites prier de votre part, ou Florian[1]é, ou Montigny[2] de l’Académie des sciences, de venir chez vous. Tous deux ont travaillé à cette machine. Elle est toute prête. C’est à mon héros à en juger, et ce n’est pas à moi chétif à l’ennuyer par des explications qui ne donnent jamais une idée nette. Il n’y a que les yeux qui puissent bien comprendre les machines.

Vous avez sans doute, monseigneur, tous les détails de la bataille[3] donnée le 18 en Bohême, et de la sortie exécutée le 21 par le prince Charles. Il paraît qu’on peut battre les Prussiens sans le secours d’une nouvelle machine. Mais, malgré les vingt-deux postillons sonnant du cor à Vienne, et malgré les cent bouches de la Renommée, on ne voit pas encore que les Prussiens aient évacué la Bohême. Ils paraissent encore être en force au camp de Kollin et auprès de Prague.

Je voudrais, pour bien des raisons, que ce fût mon héros qui les battît complètement. Ah ! quelle consolation charmante ce serait pour votre ancien courtisan, pour votre vieux idolâtre, de vous voir avant et après vos triomphes ! Je ne sais pas trop ce que pourra mon corps malingre ; mais je réponds bien de mon âme. Où ne me conduirait-elle pas pour vous faire ma cour ? J’irais partout, hors à Paris. J’imagine que vous ferez plus d’un tour au delà du Rhin ; que vous verrez l’électeur palatin ; que vous passerez quelquefois dans la maison[4] de campagne qu’il achève. Il m’honore de beaucoup de bontés. Ce ne sont pas les caresses du roi de Prusse : il ne me baise pas la main, et il ne met pas de soldats, la baïonnette au bout du fusil, au chevet du lit de ma nièce ; mais il daigne me témoigner quelque confiance. Je ne sais s’il ne serait pas mieux que j’allasse vous faire ma cour dans ce pays-là que dans Strasbourg, où vous n’aurez pas un moment à vous. J’aimerais mieux vous tenir un jour à la campagne, que quatre dans une ville bruyante. Mais où ne voudrais-je pas vous voir, vous entendre, vous renouveler mon tendre et profond respect[5] !

  1. Voyez lettre 3252.
  2. Voyez ci-dessus, lettre 3097.
  3. Celle de Kollin, perdue par Frédéric le 18 juin.
  4. Celle de Schwetzingen, où Voltaire alla voir Charles-Théodore, en juillet 1758.
  5. On trouve, sous le n° 34, page 309, dans les Lettres inédites de Voltaire, publiées par P. Dupont en 1826, une lettre du 4 juillet 1757, adressée à Marmontel. Je la crois de Vaucanson, bien qu’elle soit signée Voltaire. (Cl.)