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Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3389

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 239-240).

3389. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 1er août.

J’aurais bien voulu, madame, être le porteur de ma lettre ; quelque arrêt qu’ait rendu notre grand docteur Tronchin contre les eaux de Plombières, je serais venu au moins vous les voir prendre. Vous savez quel serait l’empressement de vous faire ma cour ; mais je ne suis pas comme vous, madame, je ne me porte pas assez bien pour faire cent lieues. Mme Denis, que je comptais vous amener, s’est trouvée aussi malade, et n’a pu s’éloigner de notre docteur, en qui est notre salut. J’ai un double regret, celui de n’avoir point fait le voyage de Plombières, et celui de voir que vous n’avez pas donné la préférence à Tronchin, qui engraisse les dames, sur des eaux chaudes qui les amaigrissent. Ah ! madame, que n’êtes-vous venue à Genève ! que n’ai-je pu vous recevoir dans mon petit ermitage ! Vous auriez passé par Lyon, vous auriez vu l’illustre et saint oncle[1], qui vous aurait donné mille préservatifs contre les poisons du pays hérétique où je suis ; et plût à Dieu que M. d’Argental vous eût accompagnée ! Mais je ne suis pas heureux. Je ne sais pas positivement quel est votre mal, mais je crois très-positivement que M. Tronchin vous aurait guérie ; enfin, je suis réduit à souhaiter que Plombières fasse ce que Tronchin aurait fait.

Nous avons presque tous les jours, dans notre ermitage, des nouvelles des succès qu’on obtient du Dieu des armées en Bohême contre mon ancien et étrange Salomon du Nord. On lui prend toujours quelque chose. Cependant il reste en Bohême, il y est cantonné, il est toujours maître de la Saxe et de la Silésie. Que m’importe tout cela, madame, pourvu que vous vous portiez bien ? Soyez heureuse, et ne vous embarrassez pas qui est roi et qui est ministre. Pour moi, j’oublie tous ces messieurs aussi parfaitement que je me souviendrai toujours de vous. Retournez à Paris bien saine et bien gaie ; ayez beaucoup de plaisir, si vous pouvez, et jamais d’ennui. Amusez-vous de la vie, il faut jouer avec elle ; et quoique le jeu ne vaille pas la chandelle, il n’y a pourtant pas d’autre parti à prendre. Vous avez encore un des meilleurs lots dans ce monde. Je ne sais de triste dans mon lot que d’être éloigné de vous. Daignez m’en consoler en conservant vos bontés au Suisse V.

  1. Le cardinal de Tencin.