Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3424

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 271-272).

3424. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 1er octobre.

Vraiment, je n’ai point eu cette lettre que vous m’écrivîtes huit jours après m’avoir envoyé les Mémoires de Hubert. Il se perdit, dans ce temps-là, un paquet du courrier de Lyon, sans qu’on ait pu jamais savoir ce qu’il est devenu. Les amants et les banquiers sont ceux qui perdent le plus à ces aventures. Je ne suis ni l’un ni l’autre, mais je regrette fort votre lettre. Nous avons depuis longtemps, mon ancien ami, celle de Fédéric au très-aimable et très-humain conjuré anglais réfugié[1], gouverneur de Neufchâtel. Je vous assure que j’en reçois de beaucoup plus singulières encore, et de lui et de sa famille. J’ai vu bien des choses extraordinaires en ma vie ; je n’en ai point vu qui approchassent de certaines choses qui se passent et que je ne peux dire. Ma philosophie s’affermit et se nourrit de toutes ces vicissitudes.

Vous ai-je mandé que M. et Mme de Montferrat sont venus ici bravement faire inoculer un fils unique qu’ils aiment autant que leur propre vie ? Mesdames de Paris, voilà de beaux exemples. Mme la comtesse de Toulouse ne pleurerait pas aujourd’hui M. le duc d’Antin[2], si on avait eu du courage. Un fils du gouverneur du Pérou, qui sort de mon ermitage, me dit qu’on inocule dans le pays d’Alzire. Les Parisiens sont vifs et tardifs.

Ce ne sont pas les auteurs de l’Encyclopédie qui sont tardifs ; je crois le septième tome imprimé, et je l’attends avec impatience. La cour de Pétersbourg n’est pas si prompte ; elle m’envoie toutes les archives de Pierre le Grand. Je n’ai reçu que le recueil de tous les plans, et un des médaillons d’or grands comme des patènes.

Je vous assure que je suis bien flatté que les descendants des Lisois soient contents de ce qui m’est échappé, par-ci par-là, sur leur respectable maison. Nous autres badauds de Paris, nous devons chérir les Montmorency par-dessus toutes les maisons du royaume. Ils ont été nos défenseurs nés ; ils étaient les premiers seigneurs, sans contredit, de notre Ile-de-France, les premiers officiers de nos rois, et, presque en tout temps, les chefs de la gendarmerie royale. Ils sont aux autres maisons ce qu’une belle dame de Paris est à une belle dame de province ; et, en qualité de Parisien et de barbouilleur de papier, j’ai toujours eu ce nom en vénération. Ce serait bien autre chose si je voyais la beauté près de laquelle vous avez le bonheur de vivre.

Quel est donc ce paquet que vous m’envoyez contre-signé Bouret ? Je voudrais bien que ce fût un paquet russe : car j’ai actuellement plus de correspondance avec la grande Permie et Archangel qu’avec Paris. Est-il vrai que M. Bouret n’a plus le portefeuille des fermes générales, et qu’il est réduit à ne plus songer qu’à son plaisir ? Bonsoir ; je vous quitte pour aller planter.


· · · · · · · · · · · · · · · Mais planter à cet âge !
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ;
Assurément il radotait[3].


Au moins, je radote heureusement ; et je finis plus tranquillement que je n’ai commencé. Vale, amice.


Le Suisse V.

  1. Lord Keith, appelé aussi milord Maréchal.
  2. Louis de Pardaillan de Gondrin, dernier duc d’Antin, né en 1727, mort en Allemagne en 1757 ; petit-fils et filleul de Mme de Gondrin, à laquelle est adressée une épître ; voyez tome X.
  3. Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes ; Fables de La Fontaine, XI, viii.