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Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3469

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 312-313).

3469. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
2 décembre.

Ne pourriez-vous point, mon cher ange, faire tenir à M. l. de B.[1] la lettre que je vous écris ? Vous me feriez grand plaisir. Serait-il possible qu’on eût imaginé que je m’intéresse au roi de Prusse ? J’en suis pardieu bien loin. Il n’y a mortel au monde qui fasse plus de vœux pour le succès des mesures présentes. J’ai goûté la vengeance de consoler un roi qui m’avait maltraité ; il n’a tenu qu’à M. de Soubise que je le consolasse davantage. Si on s’était emparé des hauteurs que le diligent Prussien garnit d’artillerie et de cavalerie, tout était fini. Le général Marschall entrait de son côté dans le Brandebourg. Nous voilà renvoyés bien loin, avec une honte qui n’est pas courte. Figurez-vous que, le soir de la bataille, le roi de Prusse, soupant dans un château voisin chez une bonne dame, prit tous ses vieux draps pour faire des bandages à nos blessés. Quel plaisir pour lui ! que de générosités adroites, qui ne coûtent rien et qui rendent beaucoup ! et que de bons mots, et que de plaisanteries ! Cependant je le tiens perdu si on veut le perdre et se bien conduire. Mais qu’en reviendra-t-il à la France ? de rendre l’Autriche plus puissante que du temps de Ferdinand II, et de se ruiner pour l’agrandir ! Le cas est embarrassant. Point de Fanime quand on nous bat et qu’on se moque de nous ; attendons des hivers plus agréables. Bonsoir, mon divin ange.

Nota bene que ce que j’ai confié à M. l. de B. prouve que le roi de Prusse était perdu si on s’était bien conduit. Ce n’est pas là chercher à déplaire à Marie-Thérèse, et ce que j’ai mandé méritait un mot de réponse vague, un mot d’amitié.

  1. L’abbé de Bernis.