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Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3472

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 315-316).

3472. — À M. BERTRAND.
Aux Délices, 5 décembre.

Je crois que les Prussiens seraient bien plus capables de venir en France, mon très-cher philosophe, que les huîtres à l’écaille du Malabar d’être venues, comme vous le prétendez, sur l’Apennin ou les Alpes. Chaque science a son roman, et voilà celui de la physique. Si les poissons des Indes étaient arrivés chez nous, comme nos missionnaires vont chez eux, ils y auraient peuplé, et on les trouverait ailleurs que sur nos montagnes. J’avoue qu’il y a quelquefois des vérités bien peu vraisemblables ; par exemple, que vingt mille Prussiens aient battu quarante-cinq mille hommes, et n’aient eu que quatre-vingt-douze morts. La honte des Français et des Cercles devient encore plus humiliante, depuis que les Autrichiens viennent d’escalader, en treize endroits, les retranchements des Prussiens, sous les murs de Breslau, et de remporter une victoire complète[1]. Le comte de Daun nous venge et nous avilit. Le roi de Prusse m’avait écrit une lettre toute farcie de vers, trois[2] jours avant la bataille de Mersbourg ; il me disait :


Quand je suis voisin du naufrage,
Il faut, en affrontant l’orage,
Penser, vivre, et mourir en roi.


Nous verrons comment il soutiendra le revers de Breslau ; on pourra donner encore une ou deux batailles avant la fin de l’année.

Je vous envoie la lettre d’une folle que je ne connais pas ; il faut que quelqu’un se soit diverti à lui écrire sous mon nom. Comme il est question de vous à la fin de la lettre, et de M. de Vattel[3] votre ami, vous saurez peut-être quelle est cette extravagante. Mille tendres respects, je vous prie, à M. et à Mme de Freudenreich. Bonsoir, mon cher philosophe.

La folle a mis son portrait dans la lettre. Le voici ; elle est jolie. La connaissez-vous ? V.

  1. Le 22 novembre précédent.
  2. Lisez vingt-sept. — Par la bataille de Mersbourg, Voltaire désigne ici celle du 5 novembre 1757 ; le village de Rosbacb étant à peu de distance de la ville de Mersbourg ou Mersebourg.
  3. Emmerich de Vattel, publiciste, né en 1714, à Couvet, village du Val-de-Travers, dans le canton de Neufchâtel.