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Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3476

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 320-321).

3476. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 7 décembre.

Vous avez su, mon ancien ami, comment les Français ont été vengés par les Autrichiens. Dix-sept ponts jetés en un moment sur l’Oder, des retranchements attaqués en treize endroits à la fois, une victoire aussi complète que sanglante, l’artillerie prussienne prise, Breslau bloquée : ce sont là des consolations et des encouragements. Il faut espérer que M. le duc de Richelieu réparera de son côté le malheur de M. de Soubise. Le roi de Prusse m’écrit toujours des vers en donnant des batailles ; mais soyez sûr que j’aime encore mieux ma patrie que ses vers, et que j’ai tous les sentiments que je dois avoir. Je n’ai point lu les rogatons pédantesques de je ne sais quel malheureux qui a voulu justifier le meurtre de Servet. Je sais seulement que ces écrits sont ici regardés avec mépris et avec horreur de tous les honnêtes gens sans exception. Comptez qu’il est heureux de vivre avec des magistrats qui vous disent : Nous détestons l’injustice de nos pères, et nous regardons avec exécration ceux qui veulent la justifier.

Vous voyez, mon ancien ami, quels progrès a faits la raison. C’est à ces progrès qu’on doit le peu d’effet des billets de confession et de vos dernières querelles. En d’autres temps elles auraient bouleversé le royaume.

J’ai lu et relu l’Éloge de Dumarsais, et je bénis la noble hardiesse de M. d’Alembert ; j’attends le septième volume de l’Encyclopédie. Tous les articles ne peuvent être égaux, mais il y en a d’admirables dans chaque volume.

Je suis bien aise que les poëtes fassent fortune quand leurs ouvrages ne le font pas, et qu’un poëte succède à un fermier général. J’ai aussi quelquefois chez moi une fermière générale, c’est Mme d’Épinai ; mais je ne l’épouserai pas : elle a un mari jeune et aimable. Pour elle, c’est à mon gré une des femmes qui ont le meilleur esprit. Si ses nerfs étaient comme son âme et en avaient la force, elle ne serait pas à Genève entre les mains de M. Tronchin. Nous ne sommes jamais sans quelque belle dame de Paris. On ira bientôt à Genève comme on va aux eaux, et on s’en trouvera mieux.

Ferchault Réaumur[1] avait, je crois, dix-sept mille francs de pension pour avoir gâté du fer et de la porcelaine, et pour avoir disséqué des mouches. Il a été bien payé. Vous avez, messieurs, autant de charlatanisme en physique qu’en médecine ; mais enfin il est toujours beau d’encourager des arts utiles.

Si quid novi, scribe veteri amico.

  1. René-Antoine Ferchault de Réaumur, moi’t le 18 octobre 1757 à son château de la Bermondière, situé sur la rive gauche de la Mayenne, tout près de la route d’Alençon à Domfront. (
    Cl.
    )