Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3525

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 365-366).

3225. — À M. SÉNAC DE MEILHAN[1],
chez m. de sénac, premier médecin du roi, à versailles.
À Lausanne, 12 janvier.

Mes yeux ne sont pas trop bons, monsieur, mais ils ont grand plaisir à lire vos lettres. Vous jugez très-bien ; il y a des vers un peu durs dans l’ouvrage[2] que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Quand vous vous amusez à en faire, les vôtres ont plus de douceur, de facilité et de grâce. Mais je sens aussi l’horrible difficulté de faire une pièce telle que celle-ci ; et cette difficulté me rend bien indulgent. D’ailleurs on ne doit sentir que les beautés d’un auteur qui commence ; le public même a besoin de l’encourager. Probablement l’auteur est sans fortune ; c’est encore une raison de plus pour disposer en sa faveur. On peut même dire de lui :


… Spirat tragiciim satis, et féliciter audet.

(Hor., lib. II, ep. i, v. 166.)

Il m’a toujours paru qu’au théâtre le public était moins flatté de l’élégance continue d’une belle poésie qu’il n’était frappé de la beauté des situations. Enfin je me fais un plaisir de chercher toutes les raisons qui peuvent justifier le succès d’un jeune homme qui a besoin d’encouragement. Nous allons jouer des pièces de théâtre dans ma retraite de Lausanne, où je passe mes hivers, et nous sentons tout le prix de l’indulgence.

Je me vanterai à Mme la marquise de Gentil[3], qui est une de nos actrices, que vous voulez bien me conserver un peu de souvenir. Pour moi, je ne vous oublierai jamais.

Je vous prie de vouloir bien présenter mes obéissances à monsieur votre père et à monsieur votre frère, et d’être persuadé de mes sentiments, qui vous attachent pour jamais le Suisse V.

Mme Denis vous fait ses compliments.

  1. Cette lettre est dans Beuchot ; M. de Lescure, dans son volume
  2. Sans doute Iphigénie en Tauride.
  3. Née Constant ; voyez lettre 3185.