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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3531

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 372-373).

3531. — DE COLINI À M. DUPONT[1].
À Strasbourg, 19 janvier 1758.

Vos jolies lettres, mon cher avocat, me font un plaisir extrême ; elles sont remplies d’un feu et d’une littérature agréable que n’ont pas d’ordinaire gens qui étudient le code.

Voici l’Épître au roi de Prusse qui court ici. Les luthériens la trouvent plaisante, et ne cessent de se dire :


Nous verrons si Frédéric
À étudié le droit public[2].


Est-elle en effet du philosophe des Délices, ou non ? C’est à vous à en juger.

Personne n’est mieux instruit que moi de l’aventure du bonnet dont vous me parlez. La voici. Une jeune Genevoise, jolie, charmante, appelée Mlle Pictet, fit présent à notre philosophe d’un bonnet qu’elle avait peint de sa main. Il l’en remercia par la petite lettre suivante :


(Suit la lettre que nous avons donnée sous le n° 3141.)

  1. Lettres inédites de Voltaire ; Paris, P. Mongie, 1821.

  2. Ce sont les deux derniers vers de cette épitre que nous reproduisons, mais qui, la simple lecture le démontre, n’est pas de Voltaire.


    Alexandre et Salomon,
    Quoi qu’en disent les poëtes,
    N’ont point fait ce que vous faites :
    L’un n’avait point de canon.
    Et bravait, dans ses conquêtes,
    Les dangers en sûreté ;
    L’autre, épris de mille flammes,
    Mourut dans la volupté,
    Au milieu d’un tas de femmes.
    Vous courez avec fierté,
    Sans songer à votre vie,
    Par la triste Germanie.
    Vous allez toujours botté,
    Sans parfums et sans parure,
    Sans avoir un cuisinier ;
    Votre lit est sur la dure.
    C’est ainsi qu’en grand guerrier,
    On vous craint en Moravie,
    À Paris, en Moscovie.
    Vous menez de toutes parts
    Vos soldats, vos étendards.
    Vous passez monts et rivières,
    Vous donnez actions meurtrières,
    Et toujours alerte, aux champs,
    Vous alfrontez tous les temps.
    Vous volez dans la Thuringe,
    Sans fourgon, sans plats, sans linge.
    Les Germains et les Français
    Vous attendent au passage ;
    Par un prompt, heureux succès,
    Vos soldats, pleins de courage,

    Les défont, prennent leur camp.
    À ce triste contre-temps,
    Le Français se sauve et jure
    Mais après cette aventure,
    Vous volez comme un éclair
    Attaquer, en Silésie,
    L’Autrichien, déjà si fier
    Qui pensait avoir ravie
    Une fleur à vos États.
    Mais par de sanglants combats
    Vous chassez de vos provinces
    Cette foule de soldats
    Commandés par tant de princes.
    À Breslau vos grenadiers
    Vont placer mille mortiers.
    Ils entourent cette place :
    Votre ardeur et leur audace
    Y répandent la terreur ;
    Et l’armée qui la garde
    Se soumet, dans sa frayeur,
    Au vainqueur, qui la bombarde.
    Au milieu de tant d’exploits
    On dispute à Ratisbonne :
    Chaque État donne sa voix ;
    On y craint votre personne.
    Mais enfin, dans un recès
    Émané de la diète,
    Par suffrage on y décrète
    Qu’on fera votre procès.
    Ce sera chose plaisante
    Quand, campé sous une tente,
    On viendra vous annoncer
    Le greffier du saint empire.
    N’allez pas vous courroucer :
    Il commencera par dire
    Qu’il vient là pour vous instruire
    Que du ban l’arrêt formel
    Vous ordonne, sans appel,
    De suspendre vos ravages,
    Vos conquêtes, vos carnages.
    Vous allez bien enrager.
    Quand il vous faudra songer
    À quitter la Germanie,
    Vos soldats, vos officiers,
    Vos États et vos lauriers.
    Cependant de Westphalie
    Le fameux double traité,
    Des docteurs si respecté,
    Veut que lorsque, par ses armes,
    Un héros rapidement
    Va répandre des alarmes,
    Il s’arrête aveuglément.
    Le grand Struve nous l’assure,
    Tout professeur nous le jure.
    Nous verrons si Frédéric
    À étudié le droit public.