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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3534

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 376-377).

3534. — À M. THIERIOT.
Lausanne, 21 janvier.

Eh bien, mon ancien et tranquille ami, comment traite-t-on les cacouacs ? La guerre est donc partout ; et tandis qu’on s’extermine en Allemagne au milieu des neiges, on attaque de tous côtés les pauvres encyclopédistes à Paris. Je crois que je leur ai porté malheur en travaillant pour eux. Messieurs les prêtres de Genève se plaignent que M. d’Alembert leur fasse l’honneur de les ranger parmi les philosophes. Ils disent que ce nom n’a jamais convenu à gens de leur espèce, et ils demandent réparation. M. d’Alembert, de son côté, fatigué de toutes les criailleries de ses adversaires, et persécuté sourdement par les enfants d’Ignace, sans pouvoir plaire aux enfants de Calvin, renonce à l’Encyclopédie ; mais il faut espérer qu’il ne persistera pas dans son dépit. Il ne faut pas que le maréchal de Saxe quitte le commandement de l’armée parce qu’il a des tracasseries à la cour.

J’ai reçu l’Iphigènie que M. de La Touche a eu la bonté de m’envoyer. Nous pourrions bien la jouer cet hiver dans notre tripot de Lausanne. M. d’Alembert conseille à messieurs de Genève d’avoir dans leur ville une troupe de comédiens de bonnes mœurs : c’est ce que nous nous flattons d’être à Lausanne. Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j’enrage ; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite. Nous avons une fille[1] du général Constant, et une belle-fille de ce fameux marquis de Langalerie[2], qui ont aussi les meilleures mœurs du monde, quoiqu’elles soient assez belles pour en avoir de très-mauvaises. Enfin notre troupe est fort édifiante, et, de plus, elle est quelquefois fort bonne. On ne peut guère passer plus doucement sa vie, loin des horreurs de la guerre et des tracasseries littéraires de Paris. Ah ! mon ami, que les grosses gelinottes sont bonnes, mais qu’elles sont difficiles à digérer ! mon cuisiner et mon apothicaire me tuent. Adieu, je suis fâché de ne vous point revoir.

  1. Voltaire veut désigner Mme Constant d’Hermenches, née de Seigneux, de laquelle il reparle dans la lettre 3563, et qui était belle-fille du général Constant (voyez page 56.)
  2. La marquise de Gentil, née Constant.