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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3549

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3549. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lausanne, février.

Avez-vous, lisez-vous l’Encyclopédie, mon cher ange ? Savez-vous les tracasseries, les tribulations qu’elle essuie ? J’ai retiré mes enjeux, et j’ai mandé à M. Diderot de me renvoyer les articles et les papiers concernant cet ouvrage, et j’ai pris la liberté de stipuler qu’il renverrait chez vous les papiers cachetés ; vous me le permettrez, sans doute : ce n’est plus la peine de travailler pour une entreprise qui va cesser d’être utile, et qui est traversée de tous côtés. Si Diderot, qui est entouré de sacs comme Perrin Dandin, et qui est accablé du fardeau, oubliait mes paperasses, j’ose vous supplier de vouloir bien envoyer chez lui, rue Taranne, quand vous serez à la Comédie.

Nous allons, nous autres Suisses, jouer Fanime et la Femme qui a raison. Je pense qu’il faut différer longtemps pour le tripot[1] de Paris, et laisser dégorger Iphigénie en Crimée[2]. Par ma foi, vous autres Parisiens, vous n’avez pas le sens commun ; Luc n’en a pas davantage d’avoir commencé cette horrible guerre qui lui a donné, à la vérité, de la gloire, mais qui le rend très-malheureux, lui et onze ou douze cent mille hommes ses semblables, s’il y a quelque chose de semblable à Luc. Je ne vois que folie et bêtise. Interim, vale. Heureux qui digère tranquillement ! Comment va la santé de Mme d’Argental ?



  1. La Comédie française.
  2. C’est l’Iphigénie en Tauride de Guimond de La Touche ; Voltaire l’appelait Iphigénie en Crimée à cause de la dureté de la versification.