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Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3565

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 407-408).

3565. — À MADAME D’ÉPINAI.
Lausanne, 26 février.

Vous, la goutte, madame ! Je n’en crois rien ; cela ne vous appartient pas. C’est le lot d’un gros prélat, d’un vieux débauché, et point du tout d’une philosophe dont le corps ne pèse pas quatre-vingts livres, poids de Paris, Pour de petits rhumatismes, de petites fluxions, de petits trémoussements de nerfs, passe ; mais si j’étais comme vous, madame, auprès de M. Tronchin, je me moquerais de mes nerfs. C’est un bonheur dont je ne jouirai qu’après le retour du printemps, car je ne crois pas que le secrétaire et le chef des orthodoxes veuille jamais venir voir nos divertissements profanes et suisses. Cependant, madame, j’espère qu’il vous accompagnera quand nous serons un peu en train, qu’il y aura moins de neige le long du lac, et que vos nerfs vous permettrent d’honorer notre ermitage suisse de votre présence. Il fera pour vous, madame, ce qu’il ne ferait pas pour un vieux papiste comme moi ; et il sera reçu comme s’il ne venait que pour nous.

Je vous remercie, madame, de vos gros gobets ; j’en aurai le soin qu’on doit avoir de ce qui vient de vous.

Permettez que je remercie ici M. Linant[1] ; il n’a pas besoin de son nom pour avoir droit à mon estime et à mon amitié ; et j’ai connu son mérite avant de savoir qu’il portait le nom d’un de mes anciens amis. Je conviens avec lui que tout nous vient du Levant, et j’accepte avec grand plaisir la proposition qu’il veut bien me faire pour une douzaine de pruniers originaires de Damas, et autant de cerisiers de Cérasonte. Ils s’accommoderont mal de mon terrain de terre à pot, maudit de Dieu ; mais j’y mettrai tant de gravier et de pierraille que j’en ferai un petit Montmorency. Je présente mes respects à l’élève de M. Linant, à M. de Ncolaï, qui fait ses caravanes de Malte près du lac de Genève. Enfin je présente ma jalousie à tous ceux qui font leur cour à Mme d’Épinai.

Au reste, je serais fâché qu’on fouettât, comme on le dit, l’abbé de Prades tous les jours de marché à Breslau : car, après tout, je n’aime pas qu’on fouette les prêtres.

Mme Denis se joint à moi, et présente ses obéissances à Mme d’Épinai.

M. de Richelieu est donc renvoyé après M. de Lucé. La cour est une belle chose !

  1. Gouverneur du jeune d’Épinai.