Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3698

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 532-533).

3698. — À M. DIDEROT.
Aux Délices, 16 novembre.

Je vous remercie du fond de mon cœur, monsieur, de votre attention et de votre nouvel ouvrage[1]. Il y a des choses tendres, vertueuses, et d’un goût nouveau, comme dans tout ce que vous faites ; mais permettez-moi de vous dire que je suis affligé de vous voir faire des pièces de théâtre qu’on ne met point au théâtre, autant que je suis fâché que Rousseau écrive contre la comédie[2], après avoir fait des comédies.

J’attends avec impatience votre nouveau tome de l’Encyclopédie ; je m’intéresse bien vivement à ce grand ouvrage et à son auteur ; vous méritiez d’avoir été mieux secondé. J’aurai la hardiesse de vouloir que l’article Idolâtrie soit de moi, s’il a passé, et j’aurais désiré que d’autres articles importants eussent été écrits avec la même passion pour la vérité. Nous étions indignés, l’autre jour, au mot Enfer[3] de lire que Moïse en a parlé ; une fausseté si évidente révolte.

Vingt articles de métaphysique, et, en particulier, celui d’Âme[4] sont traités d’une manière qui doit bien déplaire à votre cœur naïf et à votre esprit juste. Je me flatte que vous ne souffrirez plus des articles tels que celui de Femme, de Fat, etc., ni tant de vaines déclamations, ni tant de puérilités et de lieux communs sans principes, sans définitions, sans instructions. Jugez, à ma franchise, de l’intérêt que votre grande entreprise m’a inspiré.

Je n’ai pu, malgré cet intérêt, travailler beaucoup à votre nouveau tome. J’ai acheté, à deux lieues de mes Délices, une terre encore plus retirée, où je compte finir mes jours dans la tranquillité, mais où je me vois obligé de me donner beaucoup de soins les premières années. Ces soins sont amusants, et les travaux de la campagne me paraissent tenir à la philosophie ; les bonnes expériences de physique sont celles de la culture de la terre. Dans cet heureux oubli d’un monde pervers et frivole, j’interromprai mes travaux avec joie quand vous me demanderez des articles intéressants dont d’autres personnes ne se seront point chargées.

Adieu, monsieur ; honorez de quelque amitié un homme qui vous est attaché comme il voudrait que tous les philosophes le fussent, et qui est extrêmement sensible à tous vos talents.

  1. Le Père de famille, imprimé en 1758, et représenté en 1761.
  2. Voyez la lettre 3650.
  3. Par Mallet.
  4. Par l’abbé Yvon. — Les articles Fat et Femme sont de Desmahis.