Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4846

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 50-51).

4846. — À M. D’ALEMBERT.
À Ferney, 25 février.

Mon cher et universel, vous avez le nez fin, et c’est pour cela que j’ai voulu que vous lussiez Olympie ; mais, après avoir mandé à Mme de Fontaine de vous donner cette corvée[1], je lui mandai de n’en rien faire, attendu que j’ai le nez fin aussi, et que je m’étais très-bien aperçu que Cassandre et Olympie ne remuaient pas comme ils doivent remuer. J’avais, Dieu et le duc de Villars m’en sont témoins, j’avais broché en six jours cette besogne. Il n’appartient qu’au dieu de Moïse de créer en six jours un monde. J’avais fait le chaos ; j’ai débrouillé beaucoup, et voilà pourquoi je ne voulais plus que vous vissiez mon ours avant que je l’eusse léché. Toutes vos critiques me paraissent assez justes ; ce n’est point peu pour un auteur d’en convenir : il n’y en a qu’une qui me paraît mauvaise. Vous voulez qu’un homme qui est à la porte d’une église interrompe une cérémonie qu’on fait dans le sanctuaire, et à laquelle il n’a nul droit, nul prétexte de s’opposer.

On voit bien que vous n’allez jamais à la messe. Je suppose que vous vissiez Fréron et Chaumeix, etc., communier à Notre-Dame : iriez-vous leur donner des coups de bâton à l’autel ? N’attendriez-vous pas qu’ils allassent de l’église au b… ? Vous ne savez pas combien les cérémonies de l’église sont respectables.

Il y a encore d’autres remarques sur lesquelles je pourrais disputer ; mais le grand point est d’intéresser, tout le reste vient ensuite. J’ai choisi ce sujet moins pour faire une tragédie que pour faire un livre de notes à la fin de la pièce, notes sur les mystères, sur la conformité des expiations anciennes et des nôtres, sur les devoirs des prêtres, sur l’unité d’un dieu prêchée dans tous les mystères, sur Alexandre et ses consorts, sur le suicide, sur les bûchers où les femmes se jetaient dans la moitié de l’Asie ; cela m’a paru curieux, et susceptible d’une hardiesse honnête : Meslier est curieux aussi, il part un exemplaire pour vous ; le bon grain était étouffé dans l’ivraie de son in-folio. Un bon Suisse a fait l’extrait très-fidèlement, et cet extrait peut faire beaucoup de bien. Quelle réponse aux insolents fanatiques qui traitent les sages de libertins ! Quelle réponse, misérables que vous êtes, que le testament d’un prêtre qui demande pardon à Dieu d’avoir été chrétien ! Le livre de Mords-les sur l’Inquisition[2] me met toujours en fureur. Si j’étais Candide, un inquisiteur ne mourrait que de ma main[3].

Mlle Corneille est bien élevée ; il faut remercier Dieu d’avoir arraché cette âme à l’horreur d’un couvent.

Je fais un peu de bien dans la mission que le ciel m’a confiée. Ô mes frères ! travaillez sans relâche, semez le bon grain, profitez du temps pendant que nos ennemis s’égorgent. Mme Denis est très-contente de votre musique.

Quoi ! Meslier, en mourant, aura dit ce qu’il pense de Jésus, et je ne dirai pas la vérité sur vingt détestables pièces de Pierre, et sur les défauts sensibles des bonnes ? Oh ! pardieu, je parlerai ; le bon goût est préférable au préjugé, salva reverentia. Écrasez l’inf…, je vous en conjure.

  1. Voyez la lettre du 8 février, n° 4833.
  2. Le Manuel des Inquisiteurs, par Morellet.
  3. Voyez le chapitre ix de Candide, tome XXI, page 153.