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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4852

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 57-58).

4852. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 2 mars.

Ô mes anges, vous aurez incessamment Acanthe[1] conforme à la prud’homie de la police[2] et aux volontés du parterre, volontés qui sont souvent des caprices auxquels il ne faut pas se rendre aveuglément, mais qu’il ne faut pas choquer avec trop d’obstination.

À l’égard de Cassandre, nous avons du temps ; et si mon ours de six jours demande six mois pour être léché, nous lécherons six mois entiers sans plaindre notre peine, puisque vous ne la plaignez pas. Vous êtes, vous dis-je, d’impitoyables anges ; vous ne faites pas seulement attention que j’ai tout Pierre Corneille sur les bras, et encore l’Histoire générale des sottises des hommes depuis Charlemagne jusqu’à notre temps[3] ; que je suis vieux et malade, et que je me tue pour une nation un peu ingrate ; mais mes anges me tiennent lieu de ma nation.

Vous ne m’avez rien dit de la façon dont le public a appliqué certains vers d’Aménaïde[4] au maréchal de Broglie.

Vous ne daignez pas me rassurer sur la prétendue intelligence de Pierre III et de Frédéric III ; j’y suis pourtant très-intéressé en qualité d’historiographe russe ; mais vous ne me croyez que citoyen des faubourgs d’Éphèse. Vous savez que ma chère impératrice Élisabeth avait souscrit deux cents exemplaires pour Marie Corneille.

Vous ne me dites rien non plus du parlement de Bourgogne, qui s’est avisé aussi de cesser de rendre justice pour faire dépit au roi, qui sans doute est fort affligé qu’on ne juge point mes procès. Le monde est bien fou, mes chers anges. Pour le parlement de Toulouse, il juge ; il vient de condamner un ministre de mes amis à être pendu[5], trois gentilshommes à être décapités, et cinq ou six bourgeois aux galères, le tout pour avoir chanté des chansons de David. Ce parlement de Toulouse n’aime pas les mauvais vers.

Je baise vos ailes avec componction.

  1. Nom d’un personnage du Droit du Seigneur, par lequel Voltaire désigne quelquefois cette pièce.
  2. Voyez tome VI, page 3.
  3. Le tome VIII de l’Essai sur les Mœurs, publié en 1763.
  4. Voyez la lettre 4854.
  5. Il veut sans doute parler de Rochette, qui avait été pendu le 18 février ; voyez une note sur la lettre 4719.