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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4877

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 84-85).

4877. — À M. DAMILAVILLE.
4 avril.

Mes chers frères, il est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes. Presque tout le Languedoc en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui nous haïssent et qui nous battent, sont saisies d’indignation. Jamais, depuis le jour de la Saint-Barthélémy, rien n’a tant déshonoré la nature humaine. Criez, et qu’on crie.

Voici un petit ouvrage[1] auquel je n’ai d’autre part que d’en avoir retranché une page de louanges injustes que l’on m’y donnait. Je serais très-fâché qu’on crût que j’en aie eu la moindre connaissance ; mais je serais très-aise qu’il parût, parce qu’il est, d’un bout à l’autre, de la vérité la plus exacte, et que j’aime la vérité. Il faut qu’on la connaisse jusque dans les plus petites choses. Il n’y a qu’à donner cette brochure à imprimer à Grangé ou à Duchesne.

J’ai envoyé à mes frères cette petite relation[2], adressée à M. le duc de Villars, qui me vit esquisser Cassandre si vite, lorsqu’il était chez moi. Je prie mon cher frère de dire au frère Platon[3] que ce qu’il appelle pantomime je l’ai toujours appelé action. Je n’aime point le terme de pantomime pour la tragédie. J’ai toujours songé, autant que je l’ai pu, à rendre les scènes tragiques pittoresques. Elles le sont dans Mahomet, dans Mérope, dans l’Orphelin de la Chine, surtout dans Tancrède. Mais ici toute la pièce est un tableau continuel. Aussi a-t-elle fait le plus prodigieux effet. Mérope n’en approche pas quant à l’appareil et à l’action ; et cette action est toujours nécessaire, elle est toujours annoncée par les acteurs mêmes. Je voudrais qu’on perfectionnât ce genre, qui est le seul tragique : car les conversations sont à la glace, et les conversations amoureuses sont à l’eau rose.

Je suis affligé de la Martinique et de mon roué. Nous sommes bien sots et bien fanatiques ; mais l’Opéra-Comique répare tout.

Je bénis Dieu de m’avoir donné un frère tel que vous.

  1. Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas, etc. ; voyez tome XXIV, pag-e 365.
  2. C’est la lettre 4867.
  3. Diderot, appelé aussi quelquefois Tonpla.