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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5139

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5139. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Carlsruhe, le 14 janvier.

Monsieur, vous, qui devez connaître le cas que je fais de votre souvenir, et le prix dont m’est chaque trait de votre plume, pourrez mieux comprendre que personne ma douleur d’avoir été privée jusqu’à cette heure, par une maladie, du plaisir de vous remercier de la lettre charmante[1] qu’il vous a plu m’écrire. J’en fus transportée, et le marquis de Bellegarde ne pouvait se charger de rien qui me fît plus de plaisir. Je vous consacre donc ici, monsieur, les premiers moments où je puis écrire, trop heureuse de pouvoir enfin vous témoigner une reconnaissance dont je suis vivement pénétrée. J’ai bien envié au marquis le bonheur de vous avoir vu à Babylone. Si je dépendais de moi, j’irais avec bien de la joie vous trouver dans cette capitale, vous y porter mes hommages, vous y vénérer, vous y admirer, ce qui me siérait beaucoup mieux que de vous faire ici mon aumônier, comme vous dites bien agréablement. Enfin, monsieur, le désir de vous revoir m’occupe tout entièrement. Il n’est pas raisonnable d’exiger que vous quittiez un pays de délices, et d’une philosophie si séduisante, pour vous jeter dans une solitude ; mais comme les choses dont on se prive un temps acquièrent de nouveaux charmes, vous devriez vous en arracher, venir vous ennuyer un peu avec nous, emporter nos cœurs et nos regrets, puis rentrer dans tous les agréments que vous seul savez si bien procurer à tous ceux qui vous entourent. Je me flatte, monsieur, que votre santé vous permettra un jour cette petite échappade, et que j’aurai la satisfaction de vous renouveler de bouche ces sentiments de la plus haute estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.


Caroline, margrave de Bade-Dourlach.

  1. Elle manque.