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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5185

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 381-382).

5185. — À M. MOULTOU[1].

Le sacrement de mariage[2] dont je suis occupé, monsieur, a un peu nui à la sacrée tolérance dont je voudrais m’occuper souvent avec vous.

J’ai l’honneur de vous renvoyer les livres que vous avez bien voulu me prêter. Je voudrais bien que le petit livret que je prépare n’eût pas leur sort. Sûrement, ces livres-là, quelque bons qu’ils puissent être, n’ont pas été lus à Versailles ; et la première loi, dans une affaire comme celle-ci, est de se faire lire par ses juges. Ce n’est pas encore assez, il faut avoir des gens qui parlent, et j’espère que nous en aurons. Vous endoctrinerez Mme la duchesse d’Enville mieux que moi. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien lui présenter mes profonds respects quand vous lui écrirez.

J’ai changé tout l’ouvrage, et je l’ai un peu augmenté pour le rendre plus curieux ; mais je ne sais si j’y aurai réussi. Je tâche d’y mettre des notes instructives pour éclaircir quelques passages de l’antiquité que je crains bien d’embrouiller, à la façon des commentateurs.

J’aurais voulu faire tout cela dans votre chambre, et vous consulter à chaque ligne, car je ne suis pas le premier théologien de ce monde, et votre éloquence m’aurait encore plus aidé que votre théologie.

J’ai envoyé à votre ami l’arien[3] un petit chapitre tout à fait édifiant, qu’il vous aura sans doute montré, car il ne me l’a point rendu. Ce n’est point dans l’arianisme que je crains de tomber, c’est dans quelque chose en isme qui est pire qu’une hérésie[4] ; mais si les malins y trouvent quelques traces de cet abominable isme, j’ai tant de confrères, et de grandissimes confrères, que j’espère être soutenu dans mon infamie.

Sérieusement parlant, je m’examine avec le plus grand scrupule ; je tâche de montrer les choses les plus absurdes avec le plus profond respect, de ne point donner prise, de présenter sans cesse aux hommes l’adoration d’un Dieu et l’amour du prochain.

Ayez la bonté, je vous en supplie, de donner au porteur la petite esquisse, et le tome du Corneille où est Hèraclius.

Permettez-moi de vous embrasser sans cérémonie, avec autant d’empressement que j’en ai d’avoir l’honneur de vous revoir.


Mardi matin.

  1. Éditeur, A. Coquerel,
  2. Le mariage de Mlle Corneille avec M. Dupuits (13 février 1763).
  3. M. Vernes, pasteur.
  4. Le Déisme.