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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5350

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 527).

5350. — À M. LEKAIN.
27 juillet.

Monsieur le Garrick de France, vous n’êtes le Garrick que pour le mérite, et non pour la bourse. Vous vous en tenez aux applaudissements du public, et vous laissez là les pensions de la cour ; mais quand une fois le roi aura sept cent quarante millions net de revenu annuel[1], qu’on lui promet dans des brochures, je ne doute pas que vous ne soyez alors couché sur l’état. Vous venez de faire un miracle : vous avez fait supporter à la nation une tragédie sans femmes[2] ; vous avez aussi fait paraître un corps mort. Vous parviendrez à faire changer l’ancienne monotonie de notre spectacle, qu’on nous a tant reprochée. Il faut avouer que jusqu’ici la scène n’a pas été assez agissante ; mais aussi gare les actions forcées et mal amenées ! gare le fracas puéril du collège ! Tout a ses mouvements, et le chemin du bon est bien étroit. Vous avez trouvé ce chemin, mon grand acteur ; je ne serai content que lorsque vous serez dans celui de la fortune, et que la cour vous aura rendu justice. Je vous embrasse bien tendrement. Mme Denis vous fait mille compliments.

  1. Voyez la note 2, page 499.
  2. Voyez page précédente.