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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5365

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 537-538).

5365. — À M. THIERIOT[1].
De Ferney, 10 auguste.

Frère, vous m’avez donné une terrible commission. Notre langage gaulois n’est point fait pour les inscriptions. Quand vous voudrez du style lapidaire, commencez par retrancher les verbes auxiliaires et les articles. J’essaye pourtant de louer le roi et messieurs de Reims en deux vers, sans article et sans verbe avoir. Le roi est un bon prince, les Rémois sont de bons sujets, et il me paraît juste de dire un petit mot de ceux qui font la dépense de la statue :


Peuple fidèle et juste, et digne d’un tel maître,
L’un par l’autre chéri, vous méritez de l’être.


Si on ne veut pas de ce petit disticon, qu’on se couche auprès, car je n’en ferai pas d’autre.

Je suis très-fâché que vous ne soyez pas voisin de mon autre frère ; mais je me flatte que vous le voyez souvent.

Il y a une profusion de poésie, dans les Quatre Saisons, qui fait grand plaisir aux gens du métier.

Je n’ai nulle nouvelle de Protagoras. J’ai lu les Richesses de l’État[2]. On aurait beau faire cent volumes de cette espèce, ils ne produiraient pas un sou au roi. Ce petit roman de finance n’est point pris du tout de la Dîme, attribuée au maréchal de Vauban, laquelle n’est point de ce maréchal, mais d’un Normand nommé La Guilletière, autant qu’il peut m’en souvenir[3].

Il faut absolument que frère Marmontel soit de l’Académie, en attendant frère Diderot. Je voudrais les recevoir tous les deux, et puis m’enfuir dans mes montagnes. Tâchez, pour Dieu, de me faire avoir cette lettre extravagante de Jean-Jacques. Frère, je vous embrasse tendrement.

  1. Dans la Correspondance de Grimm, première partie, tome III, page 471, cette lettre est imprimée sans le nom de la personne à qui elle est adressée. En l’admettant dans les Œuvres de Voltaire en 1818, on y mit le nom de Damilaville. Mais c’est avec celui de Thieriot que cette lettre est imprimée dans les Pièces inédites de Voltaire, 1820, in-8o.
  2. Voyez la note 2, page 499.
  3. A. -A. Barbier, dans son Supplément à la Correspondance de Grimm, page 329, fait observer que la mémoire de Voltaire est ici en défaut : « Ce n’est point, dit-il, à La Guilletière, mais à Bois-Guillebert, qu’on a attribué la Dîme de Vauban. » La Guilletière était Auvergnat ; c’est donc bien de Bois-Guillebert, Normand (voyez tome XIV, page 519), que Voltaire a voulu parler. Il en a parlé plusieurs fois. (B.) — Nous répétons que la Dîme royale est bien de Vauban.