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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5491

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5491. — DE M. LE DUC DE LA VALLIÈRE[1].
Ce 22 décembre 1763.

Je ne douterai jamais de l’intérêt, que vous prenez à ce qui me regarde, et que vous n’ayez été touché de la mort d’un jeune homme fort joli, et qui en vérité pouvait devenir un fort bon sujet. J’en suis très-affligé, et c’est réellement une perte pour moi ; mais c’est précisément dans ces moments de tribulation où l’on doit chercher à se raffermir l’âme par des lectures édifiantes. Saül m’a fait un très-grand plaisir à lire, mais je vous avoue que le pauvre David, qui a besoin d’être réchauffé, m’a rappelé trop vivement l’état où je suis maintenant réduit pour n’en pas être humilié. Songez-vous encore à tout cela ? Je trouve assez doux de s’en occuper quelquefois, mais je voudrais que les succès fussent moins rares : enfin il faut prendre patience et s’humilier devant le Seigneur ; mon évêque, plus heureux que moi, est de l’Académie et a des filles ; je n’en serai jamais, et je n’en aurai plus. Ma consolation de n’être pas assis au milieu des arbitres des talents est de pouvoir dire comme Philoctète :


J’ai fait des souverains et n’ai pas daigné l’être.


Ma raison, c’est que je ne suis jamais à Paris, que je n’y veux pas être, et que je suis au désespoir quand je suis forcé d’y mettre les pieds. Je respire un air plus doux et plus tranquille à Montrouge, où je serais enchanté de vous y voir. Peut-être préféreriez-vous mes roses et mes jacinthes aux neiges de vos Alpes, et certainement vous y trouveriez l’homme du monde qui vous aime le plus, et votre plus zélé admirateur.

  1. L’Amateur d’autographes, année 1867, page 77.