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Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5503

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 69-70).
5503. — À M. DAMILAVILLE.
1er janvier 1764.

Je reçois la belle lettre ironique de mon cher frère, du 25 décembre, avec la lettre de Thieriot, et Ce qui plaît aux Dames, et l’Éducation des Filles[1]. Cette Éducation des Filles était destinée à figurer avec d’autres éducations, car nous avons aussi élevé des garçons[2]. Il est vrai que je m’amuse cet hiver à faire des contes pour réjouir les soirs ma petite famille, Mais frère Cramer a fait une action abominable de copier chez moi l’Éducation des Filles, et de l’envoyer à Paris : il ne faut pas fatiguer le public. Je me souviens trop


· · · · · · · · · · que La Serre
Volume sur volume incessamment desserre[3].


Et frère Thieriot, à qui d’ailleurs je fais réparation d’honneur, m’écrit fort sensément qu’il faut user de sobriété.

Vous ne manquerez pas de contes, mes frères, vous en aurez, et de très-honnêtes ; un peu de patience, s’il vous plaît.

Au reste, votre lettre du 25 est encore plus consolante qu’ironique. Je vois qu’on ne brûle ni l’Évêque d’Alétopolis, ni Quaker, ni Tolérance. Mais avez-vous vu l’arrêt du parlement de Toulouse contre le duc de Fitz-James[4] ? Je vous l’envoie, mes frères ; la pièce est rare, et vaut mieux qu’un conte.

Vous remplissez mon âme d’une sainte joie en me disant que le Saint-Évremont[5] perce dans le monde ; il fera du bien, malgré les fautes horribles d’impression. Béni soit à jamais celui qui a rendu ce service aux hommes !

On parle beaucoup d’une œuvre toute différente : c’est le mandement[6] de votre archevêque. On le dit imprimé clandestinement comme les Contes de La Fontaine, et on dit qu’il ne sera pas si bien reçu. Pourrai-je obtenir un de ces mandements, et un Anti-financier[7] ? Si par hasard vous aviez mis par écrit vos idées sur la finance, je vous avoue que j’en serais plus curieux que de tous les Anti-financiers du monde. Je m’imagine que vous avez des vues plus saines et des connaissances plus étendues que tous ceux qui veulent débrouiller ce chaos.

J’apprends que le parlement de Dijon vient de défendre, par un arrêt, de payer les nouveaux impôts ; j’avoue que je suis bien mauvais serviteur du roi, car j’ai tout payé.

Adieu, mon cher frère ; Saint-Évremont est un très-grand saint.

  1. Ces deux contes, imprimés chacun séparément, firent partie des Contes de Guillaume Vadé, 1764, in-8o.
  2. L’Éducation d’un Prince ; voyez tome X.
  3. Vers 19 et 20 du Chapelain décoiffé, parodie qui est imprimée dans les Œuvres de Boileau.
  4. Voyez tome XX, page 177.
  5. l’Analyse de la Religion chrétienne, dont il est parlé tome XVIII, page 264, et XXVI, 500.
  6. Intitulé Instruction pastorale, etc. ; voyez la note 4, page 66.
  7. Voyez la note 1, page 58.