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Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5683

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 248-249).

5683. — À M. D’AQUIN DE CHATEAU-LYON[1].
Aux Délices, 22 juin.

S’il vous était permis, monsieur, de rendre votre Avant-Coureur aussi agréable que vos lettres, il ferait une grande fortune. Je vous supplie de continuer. J’aurai le plaisir d’avoir de vous ce que vous faites de mieux. Vous me contez très-plaisamment des anecdotes fort plaisantes. Ne vous lassez pas, je vous prie : songez que je suis malade. Vous êtes médecin, autant qu’il m’en souvient. Vos lettres sont pour moi une excellente recette.

Je n’ai point lu cette lettre de Jean-Jacques[2] dont vous me parlez. Moi, persécuteur ! moi, violent persécuteur ! C’est Jeannot lapin[3] à qui on fait accroire qu’il est un foudre de guerre. Il y a deux ans que Jean-Jacques, auteur de quelques comédies, s’avisa d’écrire contre la comédie. Je ne sais pas trop bien quelle était sa raison ; mais cela n’était guère raisonnable.

Jean-Jacques ajouta à cette saillie celle de m’écrire[4] que je corrompais sa patrie en faisant jouer la comédie chez moi en France, à deux lieues de Genève. Je ne lui fis point de réponse. Il s’imagina que j’étais fort piqué contre lui, quoiqu’il dût savoir que les choses absurdes ne peuvent fâcher personne. Croyant donc m’avoir offensé, il s’est allé mettre dans la tête que je m’étais vengé, et que j’avais engagé les magistrats de Genève à condamner sa personne et son livre. Cette idée, comme vous le voyez, est encore plus absurde que sa lettre. Que voulez-vous ? Il faut avoir pitié des infortunés à qui la tête tourne ; il est trop à plaindre pour qu’on puisse se fâcher contre lui.

Permettez-moi de souscrire pour votre Avant-Courreur. Si jamais d’ailleurs j’obtiens quelque crédit dans le sanhédrin de la comédie, je vous ferai recevoir spectateur, et vous pourrez me siffler à votre aise. Sans cérémonie.

  1. Pierre-Louis d’Aquin de Château-Lyon, né vers 1720, mort vers 1797, était bachelier en médecine et l’un des auteurs de l’Avant-Coureur, journal dont il est parlé tome XL, page 500.
  2. C’est la lettre de J.-J. Rousseau, du 28 mai 1764, où il appelle Voltaire le plus ardent, le plus adroit de mes persécuteurs.
  3. Dans La Fontaine, livre II, fable xiv, le personnage est un lièvre et non Jeannot lapin.
  4. Le 17 juin 1760.