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Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5825

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 380-381).

5825. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 novembre.

Vous êtes les anges des Corneille, comme vous êtes les miens : ainsi je compte que Mme Dupuits n’est pas trop téméraire en suppliant M. d’Argental de vouloir bien faire rendre le paquet ci-joint à M. Corneille. Le marquis[1] est arrivé, et il a bien promis d’envoyer les feuilles qu’on demande ; et je ne doute pas que le prince[2] et le marquis n’ordonnent à leurs principaux officiers de faire les recherches nécessaires dans leur chancellerie ; moyennant quoi l’héritière du nom de Corneille peut se flatter de recevoir dans quelques mois un paquet scellé du grand sceau.

Mes anges m’avaient tenu le cas secret sur les Lettres secrètes[3] ; je ne les ai point lues. C’est un nommé Robinet, qui est allé exprès à Amsterdam. Je ne crois pas que son entreprise lui paye son voyage. Il prétend aussi faire imprimer ma correspondance avec le roi de Prusse ; en ce cas, il publiera de bien mauvais vers. Vous croyez bien que j’entends les miens, car ceux d’un roi sont toujours bons.

Il me paraît que je ressemble assez à un homme dont le bien est à l’encan. On vend tous mes effets, comme si j’étais décédé insolvable ; et on fourre dans l’inventaire bien des choses qui ne m’appartiennent pas ; mais, comme je suis mort, ce n’est pas la peine de me plaindre.

Dieu bénisse les vivants, et qu’il accorde à mes anges la vie sempiternelle le plus tard qu’il pourra !

  1. Surnom donné à Gabriel Cramer.
  2. Philibert, Cramer.
  3. Voyez tome XXV, page 579, et XXVI, 135.