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Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5827

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 382-383).

5827. — À M. DAMILAVILLE.
23 novembre.

Les hommes seraient trop heureux, mon cher frère, s’ils n’avaient à combattre que des erreurs semblables à celle qui impute au cardinal de Richelieu un très-ennuyeux et très-détestable testament. Je ne crois pas qu’on ait jamais débité une morale plus pernicieuse, ni proposé de plus extravagants systèmes.

M. Marie s’est chargé de faire imprimer, avec permission, ma réponse à M. de Foncemagne[1], réponse que je crois polie et honnête. Si quelque considération particulière dont je ne puis avoir connaissance l’empêchait de faire sur cela ce qu’il m’a promis, je vous serais, en ce cas, très-obligé de donner à Merlin l’exemplaire corrigé que je vous fais tenir ; et je crois que M. Marin y donnerait volontiers son aveu. On ne pourrait lui reprocher d’être éditeur ; il n’aurait fait que ce que sa place exige de lui. Il me semble nécessaire que l’ouvrage paraisse : je suis dans le cas d’une défense légitime ; il ne serait pas bien à moi d’abandonner sur la fin de ma vie une opinion que j’ai soutenue pendant trente années. Je vous jure que je me rétracterais publiquement si on me donnait de bonnes raisons ; mais il me semble qu’on en est bien loin.

Montrez, je vous en prie, cette double copie à votre ami M. de Beaumont. Je crois que l’article qui regarde les avocats[2] ne lui déplaira pas ; je voudrais d’ailleurs avoir son avis sur le fond du procès. Je vous avoue que je serais tenté de proposer à M. de Foncemagne de prendre une demi-douzaine d’avocats pour arbitres. Il me paraît qu’on ne peut former que deux opinions sur cette affaire : l’une, que le testament attribué au cardinal n’est point de lui ; l’autre, que, s’il en est, il a fait un ouvrage impertinent. Il y a plus d’un livre respecté dont on pourrait en dire autant.

Tâchez, mon cher frère, d’animer frère Protagoras[3] : c’est l’homme du monde qui peut rendre les plus grands services à la cause de la vérité. Les mathématiques sont fort belles ; mais, hors une vingtaine de théorèmes utiles pour la mécanique et pour l’astronomie, tout le reste n’est qu’une curiosité fatigante. Plût à Dieu que notre Archimède pût trouver un point fixe pour y pendre le fanatisme !

  1. Les Doutes nouveaux.
  2. Voyez tome XXV, page 302.
  3. D’Alembert.