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Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5881

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 436-437).

5881. — À MADAME LA DUCHESSE DE GRAMMONT.
Au château de Ferney, par Genève, 14 janvier.

Madame, vous êtes ma protectrice : je vous supplie de me donner mes étrennes. Je ne peux vous demander un regard de vos yeux, attendu que je suis aveugle. Je vous demande une compagnie de cavalerie ou de dragons. Vous me direz peut-être que cette compagnie n’est point faite pour un quinze-vingt de soixante et onze ans ; aussi n’est-ce pas pour moi, madame, que je la demande : c’est pour un jeune gentilhomme de vingt-quatre ans et demi, qui fait des enfants à Mlle Corneille votre protégée. Ce jeune homme était cornette dans la Colonelle-générale ; il a commencé par être mousquetaire, et actuellement il a neuf ans de service. Son colonel, M. le duc de Chevreuse, a rendu de lui les meilleurs témoignages ; il a été compris dans la réforme, et il est très-digne de servir : actif, sage, appliqué, brave et doux, voilà son caractère. Son nom est Dupuits ; il demeure chez moi, et sa femme et moi nous le verrons partir avec regret pour aller escadronner.

Monseigneur le duc votre frère, quand je pris la liberté de lui représenter la rage que ce jeune homme avait de continuer le service, daigna m’écrire : Adressez-vous à ma sœur, c’est à elle que je remets tout ce qui regarde votre petit Dupuits.

C’est donc vous, madame, dont je réclame la protection, en vous assurant sur ma pauvre vie qu’on ne sera jamais mécontent de Pierre Dupuits, mari de Françoise Corneille. Je vous demande cette grâce au nom du Cid et de Cinna. Pierre Corneille eut deux fils tués au service du roi ; Pierre Dupuits demande le même honneur en qualité de gendre.

Je suis avec un profond respect, madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.