Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5915

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5915. — MÉMOIRE ENVOYÉ PAR M. *** À M. ***[1].
pour être examiné dans un comité des seuls fermiers généraux
chargés du département de bresse, gex et valmorey.
13 février au soir, partira le 15.

Le 27 janvier 1765, les sieurs Galline et Bacle, citoyens de Genève, donnèrent avis au bailli de Nyon, en Suisse, près de Gex, qu’une troupe de voleurs devaient le lendemain piller un château en France. Ils donnèrent le signalement de deux chefs de brigands, et promirent de les livrer à la justice, soit en Suisse, soit en France. Le bailli de Nyon communiqua cet avis à tous les juges des environs. Les possesseurs de châteaux mirent leurs vassaux sous les armes pendant huit jours. La maréchaussée et les employés patrouillèrent exactement.

Les deux Genevois Galline et Bacle firent le même rapport au maire de la petite ville de Gex, ce qui augmenta les alarmes.

Pendant ce temps-là, quarante contrebandiers à cheval passèrent par le territoire de Genève, traversèrent tranquillement le Rhône au bac de Pency, et les deux Genevois ne revinrent plus dans le pays.

Le garde-magasin de la douane de Genève avoue que, depuis trois mois, les contrebandiers qu’on appelle camelotiers ont chargé dans Genève plus de quatre cents ballots de marchandises ; ils en prennent par année environ douze cents.

Nous n’avons eu depuis les premiers jours de février que des nouvelles vagues et incertaines.

Le 10 février, deux inconnus sont venus rôder autour du château : on les a chassés ; on aurait dû les arrêter.

La nuit du 12 au 13 février, un nommé Matringe, natif de Savoie, est venu à onze heures à une noce de village. Il a dit ensuite à un maréchal-ferrant qu’il connaît : « Quand vous entendrez des coups de fusil, ne sortez point. Je serai avec quatre-vingts hommes. J’ai sous moi cinq fusiliers ; nous ferons de bons coups. »

Le maréchal est venu déposer chez moi, quoiqu’un peu tard. J’ai envoyé chercher la maréchaussée de Gex. Elle a arrêté le nommé Matringe, lorsqu’il voulait partir de Ferney pour Genève ; j’ai fait tenir à Gex sa déposition.

J’ai appris depuis que ce Matringe est un des plus forts contrebandiers : on peut par son moyen découvrir sa troupe ; mais il est fort à craindre qu’elle ne vienne ravager le pays.

C’est à la prudence de messieurs les fermiers généraux, chargés du détail de cette province, à voir ce que l’on peut faire.

Il est très-certain que toute la contrebande se fait par Genève, et que les employés ne peuvent l’empêcher. Il n’y a qu’un régiment qui puisse en imposer à ces vagabonds, devenus de jour en jour plus dangereux. Il est à croire que messieurs les ministres de la guerre et des finances se concerteront pour prévenir les suites de ce brigandage.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.