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Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5990

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 533-534).

5990. — À M. DAMILAVILLE.
17 avril.

Je réponds à votre lettre du 10 ; si elle avait été du 11, vous auriez été dans un bel enthousiasme des trente-six mille livres[1] accordées par le roi à notre famille Galas. Si le roi savait combien on le bénit dans les pays étrangers, il trouverait que jamais personne n’a mis son argent à un pareil intérêt. Jamais l’innocence n’a été mieux vengée ni plus honorée. Vous êtes assurément bien payé, mon cher frère, de toutes vos peines. Le généreux Élie doit être bien content : on regarde ici son Mémoire comme un chef-d’œuvre : il était impossible que les juges résistassent à la force de son éloquence. J’ai oublié tous mes maux, quand j’ai appris la libéralité du roi ; je me suis cru jeune et vigoureux, et j’imagine qu’à présent vous ne portez plus d’emplâtre au cou.

Ou je suis bien trompé, ou M. de Beaumont a dû voir l’arrêt du parlement de Toulouse à la suite de la sentence de Castres. Élie va donc, une seconde fois, tirer la vertu du sein de l’opprobre et de l’infortune. Je vous prie de l’embrasser bien tendrement pour moi, et de lui dire qu’il a un autel dans mon cœur.

Les Bazin de Hollande n’étaient pas encore arrivés quand M. de La Haye partit avec les Caloyers[2] : ces Caloyers m’ont paru fort augmentés, et capables de faire beaucoup de bien. Vous avez une petite liste[3] de personnes auxquelles on peut en envoyer, et vous trouverez sans doute quelque adepte qui se chargera aisément du reste. Les Bazin sont d’un genre tout différent : ils ne me semblent pouvoir faire fortune qu’auprès de ceux qui connaissent un peu l’histoire ancienne. Je crois qu’ils n’essuieront pas le sort de la Destruction[4] : l’étiquette du sac n’inspire pas la même défiance. Le nom seul de jésuite effarouche la magistrature ; on examine l’ouvrage, dans l’idée d’y trouver des choses dangereuses ; des fatras d’histoire donnent moins d’alarme. La destruction des Babyloniens par les Persans effarouche moins que la destruction des jésuites par les jansénistes.

L’enchanteur Merlin est très-instamment prié de n’en pas faire une édition nouvelle avant de faire écouler celle d’un pauvre diable à qui on a donné ce petit morceau pour le tirer de la pauvreté. Je crois que l’enchanteur se tirera bien de la seconde édition.

Mon cher frère, toutes ces destructions-là sont l’édification des honnêtes gens. Combattez, anges de l’humanité ; écr. l’inf…

  1. Le Journal encyclopédique du 15 avril 1765, page 171, dit que, dans les 36,000 livres, il y en eut 12,000 pour Mme veuve Calas, 6,000 pour chacune des deux demoiselles Calas, 3,000 pour le fils, et 3,000 pour la servante. Dupleix de Bacquencourt, maître des requêtes, rapporteur du procès, se rendit chez Mme Calas, et lui remit en outre une somme considérable en or. Cette dame pria le magistrat de vouloir bien lui dire à qui elle en avait l’obligation. « Je suis chargé, a-t-il répondu, madame, de vous demander comme grâce de ne point prendre la peine de vous en informer. »
  2. Catéchisme de l’Honnête Homme, voyez tome XXIV, page 523.
  3. Voyez la lettre du 1er avril, n° 5970.
  4. L’ouvrage de d’Alembert, dont il a souvent été parlé.