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Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6126

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 77-78).

6126. — À M. THIERIOT.
4 octobre.

Mon ancien ami, je commence à être aussi paresseux que vous l’étiez, ou du moins à le paraître. Je comptais vous écrire par M. Damilaville ; il a heureusement pour moi différé son retour à Paris de jour en jour. Je lui donne ma lettre ; elle vous parviendra comme elle pourra. Deux choses me charment dans ce M. Damilaville, sa raison et sa vertu. Pourquoi faut-il qu’un homme de son mérite languisse dans la perception du vingtième ? Voilà un métier bien indigne de lui.

Mlle Clairon va jouer à Fontainebleau, mais y aura-t-il un Fontainebleau ? On dit que l’indisposition de monseigneur le dauphin dérange ce voyage[1]. Nous autres, pauvres laboureurs du pied des Alpes, nous savons mal les nouvelles de la cour, et nous nous contentons de dire dans nos chaumières : Sanitatem régi da, et sanitatem filio regis.

Je ne connais plus du tout cette Adélaïde dont vous me dites tant de bien : il y a trente ans que je l’ai oubiée. Il plut alors au public de la condamner ; il plaît au public d’aujourd’hui de l’applaudir, et il me plaît à moi de rire de ces inconstances. J’ai prié qu’on m’envoyât une copie de cette pièce, car je veux aussi juger à mon tour.

J’ai ici un jeune dragon nommé M. de Pezay[2], qui fait des vers tout pleins d’esprit et d’images. Il m’en a apporté de son ami M. Dorat, avec qui il loge à Paris ; ce M. Dorat en fait aussi de charmants : cela ragaillardit ma vieillesse, que M. Damilaville soutient par sa philosophie. Je me trouve entre la raison et les grâces ; vous ne seriez pas de trop assurément dans cette bonne compagnie-là.

Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne pas m’oublier, et surtout de me dire comment votre santé se trouve des approches de l’hiver.

Avez-vous fait le mariage dont vous me parliez[3] ? Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

  1. Le voyage eut lieu ; il devait finir à la mi-novembre, mais il fut prolongé à cause de la santé du dauphin, qui mourut à Fontainebleau le 20 décembre 1765.
  2. Alexandre-Frédéric-Jacques Masson, marquis de Pezay, né à Versailles en 1741, mort prés de blois le 6 décembre 1777.
  3. Voyez la lettre 6098.