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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6321

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 271-272).

6321. — À M. DAMILAVILLE.
23 avril.

Le printemps, qui rend la vie aux animaux et aux plantes, nous est donc funeste à l’un et à l’autre, mon cher ami. Nous sommes tous deux malades ; consolons-nous tous deux. Voilà déjà du baume mis dans votre sang, par la liberté qu’on donne à l’Encyclopédie. Je crois que je renaîtrai quand je recevrai le petit ballot que vous m’annoncez par la diligence de Lyon.

Mlle Clairon ne remontera donc point sur le théâtre ; mais qui la remplacera ? Tout manque, ou tout tombe.

Il faut avoir le diable au corps pour accuser d’irréligion l’éloquent auteur de l’Èloge du Dauphin ; mais c’est un grand bonheur, à mon gré, qu’on voie évidemment que, dès qu’un homme d’esprit n’est pas fanatique, les bigots l’accusent d’être athée. Plus la calomnie est absurde, plus elle se décrédite. On doit toujours se souvenir que Descartes et Gassendi ont essuyé les mêmes reproches. Le monstre du fanatisme, si fatal aux rois et aux peuples, commence à être bien décrié chez tous les honnêtes gens.

La retraite profonde où je vis ne me permet pas de vous mander des nouvelles de la littérature. Je crois que vous en avez reçu de M. Boursier[1], qui s’est chargé, ce me semble, de vous envoyer quelques pièces curieuses qu’il attend de Francfort. Ce M. Boursier vous aime de tout son cœur ; il est malade comme moi, et il ne cesse de travailler. Il dit qu’il veut mourir la plume à la main. Il suit toujours les mêmes objets dont vous l’avez vu occupé ; il regrette comme moi le temps heureux et trop court qu’il a passé avec vous.

Adieu, mon très-cher ami ; ma faiblesse ne me permet pas d’écrire de longues lettres. Écr. l’inf…

  1. la lettre 6314.