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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6349

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 296-297).

6349. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
23 mai.

J’aime beaucoup mieux, mes divins anges, vous parler des proscriptions de Rome que des tracasseries de Genève, qui probablement vous ennuient beaucoup. Mon petit ex-jésuite craint qu’il n’en arrive autant aux tracasseries de Fulvie. Il y avait longtemps qu’il était embarrassé de cette Fulvie et de ce petit Pompée, qui manquaient tous deux leur coup au même moment. Nous avions sur cela, l’un et l’autre, beaucoup de scrupule. Enfin nous avons changé cet endroit, et je crois que nous nous sommes tirés d’affaire assez passablement. Nous avons soigné le style autant que nous l’avons pu. Nous sommes assez contents des notes, qui nous paraissent instructives et intéressantes pour ceux qui aiment l’histoire romaine. Nous retouchons la préface, ou plutôt nous raccourcissons beaucoup. Nous comptons, dans quinze jours, soumettre le tout à votre tribunal ; mais nous sommes persuadés que ce ne sera qu’à la longue que l’ouvrage pourra parvenir, je ne dis pas à être goùté, mais un peu connu, du public.

Les affaires de Genève ne fourniront jamais un sujet de tragédie, pas même celui d’une farce. Vous savez que j’ai toujours été extrêmement éloigné de jouer ma partie dans ce tripot ; vous savez que, dès que vous eûtes la bonté de m’envoyer la consultation de votre avocat, je la remis à M. Hennin dès le moment de son arrivée ; je ne voulais que la paix, sans prétendre à l’honneur de la faire. Il est bien ridicule que j’aie eu depuis des tracasseries pour un compliment[1] ; mais quand on a affaire à des esprits effarouchés et inquiets, on s’expose à voir les démarches les plus simples et les plus honnêtes produire les soupçons les plus injustes. Je vous prédis encore que jamais on ne parviendra à la plus légère conciliation entre les esprits genevois. On pourra leur donner des lois, mais on ne leur inspirera jamais la concorde. Je ne change point d’opinion sur la manière dont toute cette affaire doit finir : mais je me garde bien de vous presser d’être de mon avis.

Je compte toujours sur la protection de MM. de Praslin et de Choiseul, dont je vous ai l’obligation, et c’est une obligation assez grande. J’attendrai tranquillement la décision des plénipotentiaires ; et, quelque intéressé que je sois, par bien des raisons, à l’arrêt qu’ils doivent rendre, je ne chercherai pas même à pressentir leur manière de penser. Je voudrais trouver un moyen de vous envoyer la petite collection qu’on a faite des lettres de M. Baudinet et de M. Covelle[2] ; cela me paraît plus amusant que les querelles sur le droit négatif. Je vous jure, avec un ton très-affirmatif, mes chers anges, que vos bontés font la consolation et le charme de ma vie.

  1. Voyez la lettre 6328.
  2. La collection des Lettres sur les miracles.