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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6388

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 328-329).

6388. — À MADAME D’ÉPINAI.
6 juillet. Partira par Lyon je ne sais quand.

Je bénis la Providence, ma respectable et chère philosophe, de ce que votre pupille va devenir tuteur[1] ; s’il y a un corps qui ait besoin de philosophes, c’est assurément celui dans lequel il va entrer. Les philosophes ne rouent point les Calas, ils ne condamnent point à un supplice horrible[2] des insensés qu’il faut mettre aux Petites-Maisons. De quel front peut-on aller à Polyeucte après une pareille aventure ? Le tuteur, élevé par sa tutrice, sera digne de l’emploi auquel il se destine. On attend beaucoup de la génération qui se forme ; la jeunesse est instruite, elle n’arrive point aux dignités avec les préjugés de ses grands-pères. J’ai, Dieu merci, un neveu[3] dans le même corps, qui a été bien élevé, et qui pense comme il faut penser. La lumière se communique de proche en proche ; il faut laisser mourir les vieux aveugles dans leurs ténèbres ; la véritable science amène nécessairement la tolérance. On ne brûlerait pas aujourd’hui la maréchale d’Ancre comme sorcière, on ne ferait pas la Saint-Barthélemy ; mais nous sommes encore loin du but où nous devons tendre : il faut espérer que nous l’atteindrons. Nous sommes, en bien des choses, les disciples des Anglais ; nous finirons par égaler nos maîtres.

Vous devez à présent, ma chère et respectable philosophe, jouir d’une santé brillante ; et moi, je dois être languissant : aussi suis-je. Puisque Esculape est à Paris, que vos bontés me soutiennent.

Permettez que je fasse les plus tendres compliments au tuteur. Tout notre petit ermitage est à vos pieds.

  1. Allusion à la prétention qu’avait le parlement de Paris de s’appeler tuteur des rois.
  2. La condamnation du chevalier de La Barre et du chevalier d’Étallonde ; voyez tome XXV, pages 501 et 513.
  3. L’abbé Mignot.