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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6532

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 460).


6532. — À M. MOULTOU [1].

J’ai avec vous, monsieur, la conformité d’un très-grand mal aux yeux ; mais les vôtres sont jeunes, et je perdrai bientôt les miens.

Ils lisent en pleurant cet amas d’horreurs rapportées dans le livre que vous m’envoyez[2]. En vérité cela rend honteux d’être catholique. Je voudrais que de tels livres fussent en France dans les mains de tout le monde ; mais l’Opéra-Comique l’emporte, et presque tout le monde ignore que les galères sont pleines de malheureux condamnés pour avoir chanté de mauvais psaumes.

Ne pourrait-on point faire quelque livre qui pût se faire lire avec quelque plaisir par les gens même qui n’aiment point à lire, et qui portât les cœurs à la compassion ?

Plus j’y pense, plus il me paraît difficile d’avertir que les fruits d’un arbre sont mortels sans faire sentir aux esprits exercés que l’arbre est d’une bien mauvaise nature.

Me permettez-vous, monsieur, de garder quelques jours le compte de vos frères ? Il me parait par leur nombre que vous n’auriez pas dû vous laisser pendre ; mais, entre nous, je crois ce nombre terriblement exagéré. Je vais écrire dans une province dont je pourrai recevoir des instructions, et ce qu’on m’apprendra de ce canton me servira de règle pour les autres.

Je voudrais bien que votre confrère de Céligny[3] vous envoyât le petit chapitre en question. Je ne sais s’il n’est point trop plaisant pour être mis dans un ouvrage sérieux, mais il me paraît essentiel de se faire lire de tout le monde si l’on peut. Ce n’est pas assez de prouver que l’intolérance est horrible, il faut montrer à des Français qu’elle est ridicule.

Je vous embrasse de tout mon cœur. Comme un véritable ami des hommes, vous êtes au-dessus des cérémonies.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Ce doit être le Patriote Français et Impartial. Le tome second contient des listes de galériens, de prisonniers, d’enfants enlevés, de personnes bannies, condamnées au fouet, etc.; c’est ce que Voltaire appelle le compte de vos frères. (Note du premier éditeur.)
  3. Le pasteur Vernes.