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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6536

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 463-464).

6536. — À M. LACOMBE[1].
15 octobre.

Je suis très-aise, monsieur, que ce ne soit pas vous qui ayez fait des lettres sous le nom de la reine Christine[2]. La candeur de votre caractère ne s’accorde pas avec cette petite fraude littéraire. Votre Sosie ne vous vaut pas, et il mérite d’être bien battu par Mercure. Il est permis de cacher son nom ; mais il ne l’est pas de prendre le nom d’autrui, à moins que ce ne soit celui de Guillaume Vadé.

Mon ami, qui cache son nom, vous importune beaucoup. Il se rend enfin à une de mes objections sur ces trois vers du petit monologue de Fulvie, scène iv du IVe acte :


Vous tomberez, tyrans, vous périrez, perfides !
Vos mains ont trop instruit nos mains au parricides,
Le sang vous abreuva ; votre sang va couler.


En effet, Fulvie ne fait que répéter ce qu’elle a déjà dit ; cela cause de la langueur, et ces moments doivent être vifs et rapides. Voici comme il change tout ce morceau. Après ce vers qui finit la scène iii du IVe acte,


Je t’invoque, Brutus, je t’imite ; frappons ;

mettez :


Scène IV.

FULIVE, JULIE, ALBINE.
JULIE.

Il m’échappe, il me fuit. Ô ciel ! m’a-t-il trompée ?
Autel, fatal autel ! Mânes du grand Pompée,
Votre fils devant vous m’a-t-il fait prosterner
Pour trahir mes douleurs et pour m’abandonner !

FULVIE.

S’il arrive un malheur, armez-vous de courage.
Il faut s’attendre à tout.

JULIE.

Il faut s’attendre à tout.Quel horrible langage !
S’il arrive un malheur ! Est-il donc arrivé ?

FULVIE.

Non, mais ayez un cœur plus grand, plus élevé.

JULIE.

Il l’est, mais il gémit ; vous haïssez, et j’aime.
Je crains tout pour Pompée, et non pas pour moi-même ;
Que fait-il ?

FULVIE.

Que fait-il ? Il vous sert. Les flambeaux dans ces lieux
De leur faible clarté ne frappent plus mes yeux.


etc., comme dans le manuscrit.

Je vous prie, monsieur, au nom de mon ami et au mien, d’imprimer suivant cette nouvelle leçon, et de faire un carton, si ce morceau a déjà été sous presse. Il faudra observer de changer l’ordre des scènes, car le petit monologue de Fulvie, qui faisait la ive scène, étant supprimé, il se trouve que la ve scène devient la ive, la vie devient la ve, et ainsi du reste.

Vous sentez, combien j’ai d’excuses à vous faire de vous accabler de tant de minuties. Je vous ruine en ports de lettres ; mais vous ennuyer est encore pis. L’amitié sera mon excuse ; je compte sur la vôtre. Ne doutez pas du véritable attachement que je vous ai voué depuis que je suis en commerce avec vous.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Elles étaient d’un Lacombe, d’Avignon.