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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6554

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 481-482).

6554. — À M. BERTRAND.
À Ferney, 31 octobre.

Je voudrais, monsieur, que la maison de Lausanne fût encore à moi, elle serait bientôt à vous.

Mais voici ce qui m’arriva : feu M. de Mont-Rond, en faisant son marché avec moi, me demanda combien j’avais encore de temps à vivre ; je me fis fort de vivre neuf ans : cela parut exorbitant, mais je n’en démordis point, et je fis mon marché pour neuf ans ; le contrat fut dressé sur ce pied-là ; les neuf années sont révolues, je vis encore, et M. de Mont-Rond est mort ; la maison ne m’appartient plus. Si j’avais su que vous voulussiez un jour vous transplanter à Lausanne, j’aurais pris le parti de vivre plus longtemps, et de faire un meilleur marché. Si vous étiez un vrai philosophe, si vous aimiez la retraite, j’ai un petit ermitage auprès de Ferney que je vous céderais de tout mon cœur, et qui ne vous coûterait rien, pas même de remerciements, car cela n’en mérite pas. Mais je vois que vous aimez le grand monde, et que la superbe ville de Lausanne est l’objet de vos plus tendres souhaits. Les miens sont de vous revoir. Je vais prévenir M. d’Alembert[1] de votre arrivée à Paris ; il vous connaîtra avant de vous avoir vu : il vaut mieux prendre ce parti que de vous envoyer une lettre pour lui, qui augmenterait le port considérablement.

Le procès de Jean-Jacques contre M. Hume est le procès de l’ingratitude contre la générosité. Jean-Jacques est un monstre. Savez-vous bien que ce fou avait persuadé à ses amis que je cabalais avec vous pour le faire chasser de la Suisse ? C’est le plus détestable extravagant que j’aie jamais connu. Cette dernière aventure achève de le couvrir d’opprobe. Je ne crois pas qu’il puisse vivre en Angleterre ; il faut qu’il aille chez vos Patagons haut de neuf pieds : quoiqu’il n’en ait qu’environ quatre et demi, il leur prouvera qu’il est plus grand qu’eux.

Adieu, mon cher philosophe ; je vous embrasse tendrement. Je serai enchanté de vous revoir.

  1. Cette lettre à d’Alembert manque.