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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6618

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 540-541).

6618. — À M. DAMILAVILLE.
17 décembre.

Mon cher ami, l’affaire des Sirven m’empêche de dormir. Il serait bien affreux que les retardements de M. de Beaumont eussent détruit nos plus justes espérances. S’il y a des avocats qui fassent les difficiles, il faut en trouver qui fassent leur devoir en les bien payant. Il ne sera pas difficile d’en avoir trois ou quatre qui signent ; cela nous suffira. Tout ce que demandent les Sirven, c’est l’impression du mémoire ; ils veulent encore plus gagner leur cause devant le public que devant le conseil. Si nous pouvons obtenir une évocation, à la honne heure ; sinon nous aurons du moins pour nous l’éloquence et la vérité, et ce qu’on aurait payé en procédures sera tout au profit d’une famille infortunée.

Les affaires de Genève se brouillent terriblement. J’ai peur que ces dissensions n’aient une fin funeste. Cela retarde la petite affaire de votre ami, M. de Lemberta[1]. On n’en peut rien faire dans tous ces mouvements ; presque toutes les boutiques sont fermetés, et les bourses aussi. Donnez cependant à M. de Lemberta les cent écus dont vous serez remboursé ; j’en répondrai toujours.

L’abbé Coyer jure que ce n’est pas lui qui est l’auteur de la Lettre au docteur Pansophe. On en soupçonne beaucoup un monsieur Bordes, de l’Académie de Lyon, qui a déjà donné une Ode sous mon nom, pendant la dernière guerre. On ferait une bibliothèque des livres qu’on m’impute. Tous les réfugiés errants qui font de mauvais livres les vendent, sous mon nom, à des libraires crédules. Les Fréron et les Pompignan ne manquent pas de m’imputer ces rapsodies, qui sont quelquefois très-dangereuses. On me répond que c’est l’état du métier ; si cela est, le métier est fort triste.

Personne n’a encore ma tragédie ; M. d’Argental n’en possède que des fragments informes ; elle est intitulée les Scythes. C’est une opposition continuelle des mœurs d’un peuple libre aux mœurs des courtisans. Mme Denis et tous ceux qui l’ont lue ont pleuré et frémi. Je l’ai envoyée à M. le duc de Choiseul, qui me mande qu’elle vaut mieux que Tancrède. J’ai déjà composé une préface dans laquelle j’ai saisi une occasion bien naturelle de faire l’éloge de M. Diderot : cela m’a soulagé le cœur.

Je vous embrasse mille fois.

  1. D’Alembert.