Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6723

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 90-91).
6723. — À M. DE CHABANON.
À Ferney, 6 février.

Je vous réponds tard, mon cher confrère ; j’ai été malade, je suis en Sibérie, on fait la guerre près de ma tanière, et j’y suis bloqué. Nous avons été exposés à la disette ; aucun fléau ne nous a manqué. L’espérance de voir votre tragédie entre dans mes consolations. Je loue toujours beaucoup le dessein que vous avez de la faire imprimer, afin que son succès ne dépende pas du jeu d’un acteur. On dit que le théâtre n’est pas aujourd’hui sur un pied à donner beaucoup de tentation aux auteurs ; et d’ailleurs on juge toujours mieux dans le recueillement du cabinet qu’à travers les illusions de la scène. J’ai fait une pièce fort médiocre, intitulée les Scythes[1] ; j’ai eu bravement l’impudence de mettre des agriculteurs et des pâtres en parallèle avec des souverains et des petits-maîtres. Je l’avais fait imprimer, et ne comptais point la livrer aux comédiens ; mais je ne me gouverne pas par moi‑même ; il a fallu céder aux désirs de mes amis, dont les volontés sont des ordres pour moi. C’est à vous à voir si vous aurez plus de courage que je n’en ai eu.

Avez-vous entendu la musique de Pandore ? Confiez-moi ce que vous en pensez ; il faut dire la vérité à ses amis. Je crois qu’il y a des morceaux très-agréables ; mais on dit qu’en général la musique n’est pas assez forte. Je ne m’y connais point, et vous êtes passé maître, Dites-moi la vérité encore une fois, et fiez‑vous à ma discrétion. Adieu ; je ne suis pas trop en état de causer avec un homme qui se porte bien ; mais je ne vous en aime pas moins.

  1. Elle fut jouée le 26 mars.