Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6728

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 94-95).
6728. — DE M. HENNIN[1].
Genève, 8 février 1767.

Je serai tout aussi embarrassé que vous, monsieur, pour faire passer votre lettre à Pétersbourg. Le ministre du roi à Hambourg s’est jeté par hasard, lui et son cheval, dans un four à chaux, où lui et son cheval ont été consumés en un instant. Ainsi je ne sais plus à qui m’adresser. Je verrai cependant à trouver le moyen de faire parvenir cette lettre à sa destination.

J’avais un jour mal aux yeux, et j’écrivis à un de mes amis :

Sans doute le ciel équitable,
Voulant me punir par mes sens,
En a choisi le plus coupable.

Tous les lorgneurs se glorifieraient beaucoup de vous compter parmi leurs confrères ; mais il me semble que pour cette fois la peine passe le délit. J’espère qu’elle ne sera pas durable, et que vous pourrez encore jouir des beautés de ce pays. Il a les grâces d’une capricieuse. Ses beaux moments font oublier tout ce qu’on lui a trouvé d’âpreté, et un beau soir sur la terrasse de Ferney effacera le souvenir des neiges qui vous aveuglent aujourd’hui.

Respects et amitiés à tous vos commensaux. Je voudrais bien pouvoir mériter ce titre, mais quand le devoir ne me retiendra-t-il pas ici ? Par malheur pour Genève, trop de gens se mêlent de sa guérison, et la pauvre petite périra peut-être à force de médecins.

Vous savez sans doute que M. le professeur Vernet a fait imprimer son apologie. Je serais fâché que vous cessassiez de rire pour y répondre. Laissez la ce docteur, et continuez votre Batrachomyomachie[2].

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P. ‑M. Hennin, 1825.
  2. Le poëme de la Guerre de Genève.