Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6789

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 158-159).
6789. — À M. LEKAIN.
À Ferney, 11 mars.

Mon cher ami, je sors d’une grande répétition des Scythes. Le cinquième acte est sans contredit celui de tous qui a fait le plus d’effet théâtral ; mais il demande de terribles nuances. Le couplet d’Athamare quand il encourage Obéide à le frapper, prononcé de la manière dont vous le direz, avec courage, avec noblesse, avec un air de maître, contribue beaucoup au succès. La scène du père et de la fille, l’air morne, recueilli, douloureux et terrible, qu’Obéide y conserve toujours avec son père, fait de cette scène même une des plus attachantes ; la curiosité et l’effroi saisissent toute l’assemblée. Ce cinquième acte vient de faire le même effet à Lausanne ; c’est celui de tous qui a le plus réussi. On répète la pièce à Genève, on la répète à Lyon dans quatre jours. Vous voyez qu’il est de toute impossibilité d’attendre après Pâques ; le libraire de Paris serait prévenu par les libraires de province et par ceux de Suisse. Si j’étais à Paris, vous ne seriez pas exposé à ces inconvénients ; mais il y a près de vingt ans que les indignes persécutions que j’ai essuyées pour tout fruit de mes travaux m’ont fait renoncer à ma patrie. C’est à Fréron et Coqueley, son approbateur, à triompher dans Paris. Voici un petit résumé de tous les changements faits à la pièce, afin que, s’il en est échappé quelqu’un dans votre copie, vous puissiez aisément le remplacer. Au reste, vous sentez bien que tout dépend de votre santé : il ne faut pas vous tuer pour des Scythes. Tout dépend surtout de la santé de madame la dauphine, et on n’a pas besoin d’un tel motif pour souhaiter son rétablissement. Je vous embrasse bien tendrement.

N. B. Mlle Dubois s’est plainte à moi ; elle a cru que vous m’aviez engagé à la priver du rôle d’Obéide ; je l’ai détrompée comme je le devais.