Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6798

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 168-169).
6798. — À M. PALISSOT.
À Ferney, 16 mars.

Vous avez touché, monsieur, la véritable corde. J’ai vu Fréret, le fils de Crébillon, Diderot, enlevés et mis à la Bastille ; presque tous les autres, persécutés ; l’abbé de Prades, traité comme Arius par les Athanasiens ; Helvétius, opprimé non moins cruellement ; Tercier, dépouillé de son emploi ; Marmontel, privé de sa petite fortune[1] ; Bret, son approbateur, destitué et réduit à la misère. J’ai souhaité qu’au moins des infortunés fussent unis, et que des forçats ne se battissent pas avec leurs chaînes[2]. Je n’ai pu jouir de cette consolation : il ne me reste qu’à achever, dans ma retraite, une vie que je dérobe aux persécuteurs.

Jean-Jacques, qui pouvait être utile aux lettres, en est devenu l’ennemi par un orgueil ridicule, et la honte par une conduite affreuse. Je conclus qu’il faut cultiver son jardin. Je cultive le mien, et je serai toujours avec autant d’estime que de regret, etc.

  1. Ce ne fut pas à l’occasion du Bélisaire, comme quelques personnes l’ont dit, que Marmontel fut privé du privilège du Mercure, mais en 1759, c’est-à-dire huit ans plus tôt, à l’occasion d’une Parodie d’une scène de Cinna, qui était l’ouvrage de Cury ; voyez la note 4, tome XXXVII, page 33.
  2. Voltaire avait dit dans les derniers vers de la troisième partie de la Loi naturelle, poëme (voyez tome IX) :

    Je crois voir des forçats dans un cachot funeste,
    Se pouvant secourir, l’un sur l’autre acharnés,
    Combattre avec les fers dont ils sont enchaînés